Je suis épuisée. Heureusement, la journée se termine. Je pensais que le travail au port était moins compliqué que celui près d'une mine, mais je me trompais. Ici, le vent et l'air marin me griffent, et ça pue la fiente, le sel et le poisson. Chaque jour depuis un peu plus d'une semaine, je sue dans le froid pour gagner une ou deux pièces d'argent par jour. Enfin, dans le froid... Je commence à m'y faire, je suis assez surprise de voir que ça va assez vite. Les natifs d'ici continuent de se moquer de moi quand je viens avec des habits chauds le matin. Pour eux, c'est l'été après tout.
Alek aussi commence à se faire à Nevland. Il distribue des lettres toute la journée et en quelques jours il a déjà couru plus que dans le reste de sa vie. Je le connais, bientôt il connaitra toutes les ruelles par cœur. J'éspère sincèrement qu'il ne va pas laisser tomber ce travail du jour au lendemain, il n'a jamais apprécié le travail physique.
On commence à comprendre la langue d'ici, le Nevlandais en langue commune. Notre accent est pitoyable, mais au moins je fais rire quelques matelots qui débarquent après un mois en mer avec leurs camarades. La grande majorité ne voit aucune femme pendant des semaines, tanguent sur leur navire des jours et ne peuvent passer le temps qu'en pêchant, en buvant et un buvant encore. Je comprends pourquoi ils rient quand une petite demoiselle rousse arrive la première pour décharger le bateau, leur dit un bonjour aux sonorités douteuses puis soulève un tonneau de deux fois son poids...
Je n'ai pas vraiment de collègues, simplement quelques personnes qui viennent travailler de temps en temps. Souvent les gens ne font que transiter ici après avoir dû quitter un petit boulot avant. Se bousiller le dos n'est jamais une vocation... Surtout pour une ou deux pièces d'argent par jour. Il m'arrive de surprendre les échanges entre les chefs-débarqueurs et les capitaines. Les bourses qu'ils se donnent contiennent bien plus de deux pièces. Mais bon, on n'est pas ici pour changer le monde.
Alek gagne la même somme que moi, et même si c'est suffisant pour vivre, c'est peu. Avec nos nouvelles connaissances en Nevlandais, on a pu discuter un peu avec l'aubergiste. Il nous a expliqué que le tarif était prévu pour trois jours, et que le prix reviendrait à la normale au bout du quatrième. C'est-à-dire une pièce d'argent par nuit. Il nous avait fait un excellent prix à notre arrivée car nous étions dans le besoin, mais maintenant il n'y a plus d'excuses. Les jours fastes, Alek et moi avons chacun de la soupe et un poisson à partager. Sinon, on doit partager une portion de potage de céréales. De nos économies, il ne nous reste déjà plus grand-chose, mais nous devrions nous en sortir. Encore quelques semaines à travailler comme ça et...
« Amét' ! »
Une voix masculine m'appelle, je me retourne pour voir qui est là, et je reconnais alors Yask. Yask et moi avons sympathisé il y a deux jours, il travaillait avec son vieux père au port. Le jeune réparait un filait de pêche pendant que l'ancien tenait l'étal des poissons. Ils sont grossistes et bricoleurs je crois. Alors qu'un client négociait avec le père de Yask, un individu s'était rapproché du premier et l'avait bousculé, avant de s'éloigner en mettant quelque chose dans sa poche. Une bourse, bien entendu. J'avais alors fait sommairement une boule avec de la glaise qui recouvrait le sol, et je l'avais balancé à la figure du voleur avant de lui crier de rendre la bourse. Tout le monde à 20 pas à la ronde s'était retourné d'un coup.
Le client du père de Yask se mis à chercher ses sous et gueula « Au voleur ! » juste après. Et pile avant que le voleur ne réalise qu'il devait courir, Yask lui avait déjà jeté le filet de pêche, le capturant quelques instants. Un garde côtier arriva alors et s'occupa de la suite. Le lendemain, Yask était venu me remercier de ce coup de main. Le client était l'un de leurs plus importants et ils auraient pu le perdre. Personne ne veut faire d'affaires dans un quartier mal famé.
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Nevland - cycle des aciers [réécriture en cours]
FantasyAmétisse et son frère Alek ont dû quitter leur terre natale, les hautes terres de Zelbor, pour fuir à Nevland. Une contrée gelée, où les gens sont aussi rudes que l'hiver. Une contrée agonisante, n'ayant qu'un passé légendaire et incertain pour subs...