Je pousse la trappe et je me retrouve au sommet de la tour, sous un toit pointu en bois. J'ai l'impression d'avoir perdu toute mon agilité avec cette nouvelle tenue. Et encore, je n'ai pas pu mettre le casque, et je n'ai pas d'arme. Mon collègue est là, debout, à observer la mer. Il m'entend, se retourne un instant, puis revient à son observation. Je ferme la trappe et je m'approche de lui.
« La tenue te convient ?
- Elle me sert trop les seins. »
Il sourit légèrement.
« Notre Capta avait aussi ce souci il y a longtemps, elle a bricolé sa tenue. Je me nomme Rodric Colleart. Je suis un des plus expérimentés ici, j'ai 7 ans de métier. J'avais à peu près ton âge quand on m'a embauché. La Capta m'a dit de te former pendant un mois, et de lui dire si tu n'es pas apte au métier. Tu comprends bien ce que je dis ? Je parle peu le langage commun.
- Je comprends. Je vous écoute pour la suite, que dois-je faire ?
- Apprendre. Apprendre à obéir, apprendre à intimider, apprendre à te battre.
- J'ai déjà quelques notions... »
Il rigole. Pas chaleureusement, il se moque de moi. Ça ne me plait pas du tout. Je me battais déjà quand j'ai appris à parler.
« Non. Tu crois savoir. Je sais de quoi je parle. On est tous arrivés ici en pensant être forts. Mais on avait juste du potentiel. Tu es une graine, la Capta a pensé que ça pouvait être autre chose qu'une mauvaise herbe. Point barre. »
Silence. Le vent, la mer et la ville parlent mais nous sommes isolés. Rodric reprend la parole.
« Quand je suis arrivé à mon premier poste, je pensais que Nevland était une contrée sûre. Qu'il n'y avait jamais de guerre et pas de dangers autres que le froid et la mer. Mais cette contrée est pourrie. Autant, peut-être plus que les autres. Les Nevmans pensent être les héritiers de leur contrée millénaire, mais ils n'en sont que des fantômes. Frostelm n'est plus, même si les Isolés s'acharnent à en retrouver des traces. Colso passe son temps à parler à la Péninsule, les mines de Steldok s'épuisent, les pécheurs sont tués par Milstram, les agriculteurs par Plak et les montagnards par Sinev. La corruption est partout, l'emprise des contrebandiers ne se réduit pas, et la milice possède désormais le contrôle de Sogaden. Rien ne va. Voilà pourquoi nous avons des murs et des tours : notre contrée est mourante depuis des siècles, tous les jours un autre pays pourrait tenter de nous envahir. Hors de question que cela arrive parce que certaines personnes pensaient savoir se battre. »
Il a dit tout cela sans colère, sans désespoir. Sa voix suintait le réalisme et empestait un air de vécu. Je n'ai pas tout compris, mais c'est ce qui m'inquiète le plus. Je crois qu'il a raison, je ne sais pas grand-chose.
« A la prochaine sonnerie, nous descendrons d'un étage pour l'entretien des équipements. Et après ça, ce sera ta première session d'entrainement. Surveille le côté Nord, et préviens-moi si quelque chose est anormal. »
J'acquiesce et je me tourne vers le Nord. Je n'avais encore jamais vu la ville d'un point en hauteur. Les maisons du Nord sont un peu plus grandes, et plus « finies » que celles de Sogaden par exemple. Les gens y sont un plus riches. Les toits sont renforcés pour mieux résister à l'hiver, ils sont bien plus pointus. Ça doit permettre d'équilibrer le poids de la neige. Yask m'avait surpris en me disant qu'il pouvait y avoir une couche de neige allant jusqu'à la taille, alors que l'air marin est riche en sel. Apparemment, à la fin de l'automne, la neige tombe quelques semaines, puis il fait tellement froid qu'aucun nuage ne se forme, et alors tout gèle.
Les portes des maisons s'ouvrent normalement toutes vers l'intérieur, et quand les entrées sont bloquées, les citoyens doivent se frayer un chemin à coup de pioche et de sel. Les maisons à deux étages utilisent alors une deuxième porte d'entrée, souvent c'est une fenêtre, et une échelle. Et toute cette glace fond pendant le printemps, au point de transformer certaines terres en marécages.
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Nevland - cycle des aciers [réécriture en cours]
FantasyAmétisse et son frère Alek ont dû quitter leur terre natale, les hautes terres de Zelbor, pour fuir à Nevland. Une contrée gelée, où les gens sont aussi rudes que l'hiver. Une contrée agonisante, n'ayant qu'un passé légendaire et incertain pour subs...