« Amétisse, on est quel jour ? »
« Amétisse ? »
Je ne sais plus. J'ai oublié. Chaque pas me semble être le dernier de ma vie. Tout ce que je sais, c'est que nous sommes toujours en pleine ascension. Le ciel est d'un bleu parfait, et mis à part quelques pointes rocheuses, l'horizon est blanc. Sans nos lunettes en os, nous serions déjà aveugles.
Et le silence. Ce silence si puissant que je pense parfois être devenue sourde. La neige étouffe tous les bruits, je n'entends même pas les pas d'Alek, à une longueur de corde de moi. Il marche devant, et sa voix me parvient faible comme s'il chuchotait. Rien à voir, rien à entendre, rien à toucher, rien à sentir, et rien à gouter mis à part notre Pemcan. Apparemment, certains en deviennent fou.
« Amétisse, il faut qu'on se parle... »
J'aimerais répondre. Mais l'air me manque déjà. A chaque respiration, je sens un courant glacial me traverser. Et même si je remplis mes poumons, j'ai l'impression d'étouffer. Mes lèvres gercent et se crevassent, mes yeux semblent gelés à chaque fois que je les ferme.
Et cette solitude... Personne ne devrait plus nous trouver désormais. Il n'y a plus qu'Alek, les Elmes et moi.
« S'il te plait, Amétisse, il faut que tu parles. »
Devant, il ne peut rien voir d'autre que la route que nous suivons. Alors que moi, je le vois. Il me sert de repère. Il a besoin de ma voix pour ne pas perdre la tête.
« Je... Je te suis, tout va bien... J'ai mal. »
Alek s'interrompt, et se retourne. Il attend quelques instants, le temps que je le rejoigne.
« Alek, on... On ne peut pas faire de pauses inutiles, sinon elle nous rattrapera... »
Ma blessure me tire. Elle ne saigne pas, elle n'a pas l'air infectée, mais la cautérisation rend ma plaie très sensible, et les frottements de ma tenue m'arrachent la peau à chaque pas. Il ne faut pas s'arrêter. Ce genre de blessure ne guérit pas en une nuit. Plus vite nous arriverons, plus vite je serais soignée.
Mon frère me tape doucement sur l'épaule. Puis, nous repartons.
Ici, le relief est assez facile à traverser. C'est un cirque glaciaire, au bout duquel se trouve une arête rocheuse. Si ma mémoire est bonne, il faut la suivre pendant une demie journée et ensuite...
Ensuite...
Je ne sais plus.
Je ne me souviens même plus en détail de la route que nous avons empruntée jusqu'ici. Dès que l'on s'arrêtera, il faudra regarder rapidement le croquis de la carte que nous avons. Avec un peu de chance, Alek s'en souvient encore très bien. Je ne sais pas s'il parvient réellement à se repérer, ou s'il fait semblant par déni. Mais au moins, nous avançons. Chaque jour, il nous reste un peu moins à marcher. Dans ces étendues laiteuses, où l'horizon nous encercle, je me dis que l'on peut voir venir n'importe quel danger, comme la Yett. Avant tous mes tours de garde, je regarde vers le Sud, et je guette un point venant vers nous. Mais pour le moment, rien. Peut-être que ces Yetts ne sont pas si dangereux qu'on le prétend...
Alek s'interrompt au bord du cirque. Je souffle un instant, pensant qu'il analyse le terrain pour trouver le meilleur chemin. Mais en me rapprochant, je vois que ce n'est pas le cas.
A trois pas de nous se trouve un cadavre. Un homme plus âgé que nous, complètement gelé, à peine attaqué par les rares charognards qui vivent encore ici, mais surtout, nu. J'observe mieux la scène, et je vois qu'il a le crâne ouvert. Son visage est figé dans une expression absurde, comme si, sombrant dans la folie et chutant de l'arête rocheuse, il s'était calmé pour observer la beauté Gorgonienne des montagnes.
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Nevland - cycle des aciers [réécriture en cours]
FantasyAmétisse et son frère Alek ont dû quitter leur terre natale, les hautes terres de Zelbor, pour fuir à Nevland. Une contrée gelée, où les gens sont aussi rudes que l'hiver. Une contrée agonisante, n'ayant qu'un passé légendaire et incertain pour subs...