22 | Paris et elle.

1.1K 130 3
                                    

Paris. Carly et moi parlions de ce voyage depuis l'université. J'ignore pour quelle raison nous n'avions jamais pris le temps de le faire. Ensemble, j'entends. Bien évidemment nous connaissions déjà la ville, car nos parents nous y ont emmené souvent. Enfin, nous en avons visité d'autres, pendant toutes ces années. Tokyo, Rome, Madrid, Amsterdam... Je vous épargne la liste complète, car nous aimons vadrouiller ensemble. Mais la capitale française... Elle faisait partie de nos plans depuis si longtemps que j'ai décrété – entre deux makis à l'avocat et autant de verres de saké – que nous devions y aller tant qu'elle était encore officiellement « célibataire ». Mon idée a été accueillie par des exclamations de joie de la part de mon amie, donc nous avons aussitôt réservé nos billets pour un enterrement de vie de jeune fille d'une durée d'une semaine sous le regard désabusé d'Evan, pendant que Joshua lui rappelait dans un haussement d'épaules qu'il ne pouvait rien contre moi. J'ai alors affiché une moue des plus arrogantes qui disait quoi, tu as un problème ?!
Trois semaines avant leur mariage, nous sommes donc parties après que j'ai passé une dernière nuit imprévue dans les bras de l'agent fédéral. Il m'a même proposé de veiller sur Wyatt, alors je lui ai laissé le double de mes clés sans hésiter, ravie de ne pas avoir à déranger ma mère. Mais il y a eu ce je ne sais quoi, lorsque nous nous sommes quittés devant mon immeuble pour que je me rende à l'aéroport. Ses doigts dans mes cheveux et la douceur d'un baiser qui n'avait plus rien de charnel. Quelque chose que j'aurais voulu nier plus longtemps mais qui s'est imposé au fil du temps. Que j'ai juste refusé de voir. De reconnaître. L'éclat dans ses yeux était nettement similaire au mien, même si ni l'un ni l'autre n'avouions rien. Puisque je m'y refuse tandis que lui, respecte. Je crois. L'évidence de nos sentiments qui m'obligent à me dire que je vais devoir tout arrêter. Que jouer plus longtemps est devenu impossible. Mais dire la vérité... Prendre ce risque... Ma raison n'est pas prête à le faire. Elle a bien trop peur des conséquences sur tous les plans. Donc je suis partie sans rien ajouter, consciente que j'allais profiter de cet éloignement pour rassembler le courage de mettre fin à cette relation qui en était trop devenue une.

***

Paris et elle, c'est un séjour qui a des allures de perfection. Même lorsque je penchais la tête d'un côté puis de l'autre, plantée depuis dix minutes devant une œuvre de Jackson Pollock — Number 26 A, black and White – alors que je l'ai déjà vu au moins cinq fois. Pendant que Carly s'impatientait, se moquait et me bousculait, je contemplais le chaos des éclaboussures de peinture faisant écho à mon état intérieur. J'ai finalement pris sa main pour l'arrêter.

— Je me sens ainsi, Lyly, ai-je dit.

Elle s'est contentée de soupirer avant de m'attirer vers un autre tableau que j'affectionne. Et face à l'immensité de IKB 3, monochrome bleu d'Yves Klein, je sais qu'elle me soufflait tu arriveras à cette émotion là. Je suis avec toi. Pour être plus claire, en présence de cette couleur, j'ai toujours ressenti l'apaisement. C'est inexplicable, je sais. Mais les sentiments ne se contrôlent pas, après tout. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous pouvons ressentir le calme après la tempête sans transition, tout comme l'inverse. Surtout. Le. Contraire. Mes doigts enlacés avec ceux de cette fabuleuse brune lorsque nous avons quitté Beaubourg, je me sentais sereine et confiante. J'allais y parvenir. M'en sortir. Indemne, surtout. Sauf que, comme je viens de l'expliquer, cela n'allait bien évidemment pas durer.

***

— Je vais prendre la salade Caesar, dit mon amie dans son français impeccable en fermant son menu.

— Pour moi ce sera les œufs brouillés aux truffes s'il vous plaît, ajouté-je avec un sourire à destination du serveur. Et une bouteille d'eau pétillante.

L'autre côté de la porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant