26 | Parfaits ensemble.

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Mes joues sont inondées, et les siennes aussi. Si je n'avais pas l'estomac si noué, le pouls à ce point rapide, je serais en train de louer le saint du maquillage waterproof, voyez-vous. Cela étant dit, ma mère se charge probablement de le faire pour moi à cet instant précis. Il ne se passe rien de grave, rassurez-vous. Je viens juste de terminer mon discours de demoiselle d'honneur au mariage de ma meilleure amie. Et vu l'émotion que je peux lire sur son visage, je suppose qu'il était plutôt réussi. Je n'en ai pas fait des tonnes, juste été honnête. Carly, c'est un coup de foudre. Dès qu'elle a posé le pied dans ma classe de la Trinity School et que nos regards se sont accrochés, j'ai su. J'avais rencontré mon âme-sœur. Cette idée s'est confirmée au fil des années, puis plus encore ce jour là, à l'hôpital. Lorsqu'elle a gardé mon secret, veillant ainsi à me maintenir en sécurité, elle a fait ce que peu de gens auraient fait, j'en suis consciente. Alors ces dernières minutes, je lui ai déclaré tout mon amour. Expliquant qu'elle était la seule capable de me suivre jusqu'au bout du monde sur un coup de tête – sans mentionner qu'une simple porte fait l'affaire pour ce trajet –, je lui ai adressé le plus grand de tous les mercis sur cette terre.

Je t'aime.

Bien sûr j'ai aussi parlé de mon amitié avec Joshua, rencontré sur les bancs de Columbia. Le jeune homme n'étant pas originaire de New-York, il rentrait chez lui très souvent, ce qui est la raison pour laquelle Lyly et lui ne s'étaient jamais rencontrés avant mon accident. Elle-même étant partie faire ses études à Londres, accorder nos emplois du temps était un véritable calvaire à l'époque. Ce serait arrivé après l'obtention de nos diplômes puisque l'architecte et moi visions le même employeur, mais je n'ai pas pu m'empêcher de conclure en affirmant avec décontraction que si j'avais su avant à quel point ces deux là sont parfaits ensemble, je serais tombée dans le coma plus tôt afin qu'ils ne perdent pas une minute supplémentaire loin l'un de l'autre. Ma mère a laissé échapper un sanglot mêlé à un rire, mon père serrant sa main, le regard aussi fier que douloureux. Josh a reniflé – pas vraiment – discrètement alors que la sublime brune, elle, s'est levée pour fondre sur moi, se fichant bien des qu'en dira-t-on. C'est son mariage, après tout. Là, maintenant, je suis à la fois émue, heureuse ainsi que reconnaissante, l'étreignant de toutes mes forces pendant qu'elle en fait autant.

Je t'aime.

***

Tu as fait du beau travail, me dit-il en arrivant dans mon dos tandis que je sirote une coupe de champagne en contemplant mes amis lors leur première danse en tant que monsieur et madame Northwood.

Hum.

Merci.

J'espère que mon ton neutre et mon air indifférent seront suffisants pour l'empêcher de poursuivre cette conversation. Personnellement, j'ai juste envie de m'extasier en paix devant le bonheur que dégage les deux amoureux sur cette – trop – classique valse. Pour l'anecdote, nous avions bien imaginé une chorégraphie moins guindée, mais la haute société est ce qu'elle est, dites-vous. Alors l'intransigeante madame Howards s'est opposée bec et ongles – laqués et impeccables – à ce projet qui a finalement été relégué au rang des mauvaises – bonnes – idées. Nous avons néanmoins obtenu « Nuvole Bianche » de Ludovico Einaudi, ce qui nous a ravi.

— Mais je ne suis pas étonné, tu as toujours eu beaucoup de goût, poursuit-il en avançant son verre pour trinquer.

Hum.

Quelque part, je me doutais que je n'allais pas pouvoir échapper à Frédéric toute la soirée. Je l'avais déjà esquivé avec soin pendant tout le dîner, après avoir ignoré – sans difficulté – sa présence lors de la sublime cérémonie. Mes yeux plongés dans ceux d'Evan la majorité du temps, et le reste occupée à refouler mes larmes. Le jeune homme – celui que j'aime – était à côté de son cousin, aussi droit que visiblement heureux. À chaque fois qu'il m'a regardé il a eu ce sourire – parfait – qui fait battre mon cœur depuis la première seconde. Vous savez, lorsque j'étais assise sur le bitume ce soir d'octobre il y a six mois, après ma chute de vélo. Il n'a pas arrêté un seul instant depuis, qu'importe combien j'ai essayé de lutter. Mais je ne vous apprends rien, puisque vous étiez là. J'ai une nouvelle, cependant. Oui, oui. Enfin, façon de parler car je suppose que vous vous en doutez déjà. Quand je suis rentrée après qu'il ait été blessé au travail, il m'attendait bien dans mon appartement. Pour tout vous dire, il avait même préparé le dîner et l'odeur qui emplissait le couloir était délicieuse. J'ai ouvert la porte, ai discrètement retiré mes gants avant de la franchir, puis submergée par le fait de le trouver dans ma cuisine à me tendre un verre de vin avec naturel, j'ai juste foncé pour rejoindre ses lèvres avec fébrilité, incapable de me réfréner davantage. Je ne voulais plus me battre. Je ne supporterais pas le moindre malentendu supplémentaire entre nous – voulu ou non –. Il fallait que les choses soient claires, désormais. Ses mains ont rejoint ma mâchoire, et alors qu'il répondait à mon baiser avec une ardeur équivalente à la mienne, j'ai rassemblé mon courage.

— Je veux être avec toi, ai-je soufflé contre sa bouche. Qu'est-ce que tu en dis ?

Il n'a pas répondu, mais a cessé de bouger. Pendant cette poignée de secondes mon estomac a fait des nœuds, ma respiration a entamé une grève sans préavis, puis mon pouls s'est empressé d'atteindre un douloureux point de rupture. Il s'est redressé en silence, et j'ai fixé mon regard sur les carreaux de ciments en reculant d'un pas, tentant de refouler un assaut de larmes. Prête à essuyer son refus. À encaisser avec toute la grâce transmise par ma mère au fil des années. Me disant...

Tu es une Davis. Tu ne flancheras pas. Tu t'es remise d'un cerveau fichu, tu te remettras d'un cœur brisé.

Je crois que l'éternité a filé en entier lors de ce moment que je qualifierais d'insupportable. Néanmoins, j'ai relevé la tête pour l'affronter, en digne fille de mes parents.

Dis-moi plutôt à quoi tu penses, a-t-il suggéré en toute simplicité, plaçant son index sous mon menton.

Je suis folle.

C'était une erreur, articulé-je difficilement, me rappelant parfaitement le moment où il avait dit ces mots.

Puis je me suis détournée pour m'éloigner, bien trop blessée pour rester près de lui.

— Où vas-tu ? me demanda-t-il en m'observant entamer la montée de mes escaliers.

— Prendre une douche, ai-je marmonné d'une voix plus étranglée que je le voulais.

— Pas si vite, m'a-t-il arrêté en attrapant mon poignet. Tu ne peux pas annoncer quelque chose comme ça, puis affirmer que c'est une erreur sans me donner d'explication. Je sais que tu es ambivalente, mais quand même !

Je t'emmerde, Evan !

Oh je t'en prie ! explosais-je. C'est bon, j'ai compris que nous n'étions pas sur la même longueur d'ondes, inutile de remuer le couteau dans la plaie !

Ses sourcils se sont froncés, mais il s'est détendu avant de laisser un sourire en coin se dessiner sur ses lèvres.

Bordel de dieu ! Ça t'amuse en plus ?!

— Bon sang, Taylor, a-t-il soupiré en m'attirant contre son torse tandis que je cherchais à donner un sens à son attitude. Tu n'as rien compris. À ton avis, pourquoi ai-je repris cette phrase ?

On joue aux devinettes, maintenant ?

Tu ne veux pas juste te contenter d'une réponse courte ? ai-je grondé. Et claire, tant qu'à faire !

— Je t'attends depuis ce jour là, mais tu ne peux pas patienter rien qu'une minute lorsqu'enfin tu te décides ? m'a-t-il raillé, provoquant ainsi la fin de la manifestation entamée par mon souffle.

Mais j'ai pleuré quand même. À la seconde où il m'a embrassé, les larmes ont forcé le barrage. Entre temps elles avaient toutefois changé, l'horrible tristesse s'étant muée en un profond soulagement.

Je t'aime. Dis-moi ces mots, et tu sauras tout de moi.

***

L'autre côté de la porteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant