Chapitre 20

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Thaïs

La nuit est sombre autour de nous. Le brouhaha constant, les cris et la musique du bar se sont tus sitôt la porte refermée derrière nous. Brusquement, nous sommes livrés à nous-mêmes dans la rue silencieuse, tournés l'un vers l'autre. Les yeux d'Axel sont rivés aux miens. Alors, le cœur battant, j'ose enfin poser la question qui me brûle les lèvres.

— Pourquoi est-ce que tu m'as invitée à cette soirée ?

Les reproches de Chloé me reviennent en tête. Je suis une personne rationnelle. Je sais qu'elle a raison. C'est pour ça que je souhaite savoir ce que veut Axel. Il aurait pu s'en tenir à sa boîte de cookies qui a provoqué le ravissement de ma famille. Il aurait été largement excusé. Quel intérêt a-t-il à entretenir une relation avec moi ? Ma tête tourne mais je regrette à peine d'avoir trop bu. J'ai enfin le courage qui me manquait, au contraire de l'équilibre qui me fait défaut. Axel tente de se rapprocher pour me soutenir dans ses bras, mais je les mets au défi, lui et la gravité, et soutiens son regard bleu océan.

— Pourquoi ?, j'insiste.

Axel ferme les yeux et prend une grande respiration. L'espace d'un instant, un carrousel d'idées déraisonnables et saugrenues, comme venir réfugier mes lèvres sur sa joue, me viennent à l'esprit. Il y a toutes ces choses que j'aimerais faire, toutes ces phrases que j'aimerais lui dire, mais elles restent bloquées en travers de ma gorge, noyées par la vodka. Apparemment, Axel ne rencontre pas les mêmes problèmes que moi, puisqu'il rouvre ses yeux et me rétorque :

— Parce que je n'aurais pas pu me faire à l'idée de ne plus te revoir.

Mon sang se fige dans mes veines. Ce n'est pas la réponse que je souhaitais entendre. Je ne comprends pas. Ça me fait presque peur, tout d'un coup. Moi non plus, je ne vais pas m'en tenir là.

— Mais pourquoi ?

— Parce que tu ne voulais pas me voir : si je n'étais pas revenu à la librairie, tu aurais effacé mon numéro et tu n'aurais pas cherché à me revoir. J'ai tort ?

Axel m'a très bien cernée : un point pour lui. Mais ça ne m'explique toujours pas pourquoi il désirait me revoir. J'enrage un peu.

— Pourquoi est-ce que tu voulais m'inviter ce soir ?

— Je pensais que c'était parce que tu savais que tu avais accepté. Mais je ne sais pas si c'est particulièrement utile de discuter de ça maintenant, si ? Tu es ivre Thaïs, c'est un miracle si tu tiens encore debout. On en parlera à nouveau à tête reposée, ok ? 

— Aujourd'hui, demain, qu'est-ce que ça change ?

— Tout. Je voudrais que tu sois pleinement maîtresse de toi-même quand on en reparlera, d'accord ?

Je fulmine, à bout, mais je hoche la tête malgré moi. Axel paraît déboussolé, il a l'air de résister contre quelque chose que je ne parviens pas à percevoir. Je ne comprends pas de quoi il veut parler, ni quel sujet lui tient autant à cœur. Je ne comprends rien. Ma tête est lourde, mon corps semble peser une tonne, car il chancelle si je relâche mon attention plus d'une poignée de secondes. Je maudis mes chaussures à talons plus que jamais.

— Demain ?, tenté-je.

Axel sourit. 

— Peut-être. On verra dans quel état on sera demain.

Ses yeux malicieux se plissent légèrement. À le voir aussi posé, et ces petits éclats de lumière exquis dans son sourire, je me radoucis immédiatement.

— J'ai l'intention de savoir, de toute manière, m'acharné-je. Si ce n'est pas demain, ce sera un autre jour. 

— Si tu veux, acquiesce mon cavalier d'un crépuscule. En attendant ce jour tant espéré, il faudrait sans doute penser à rentrer. Les soirées en semaine, ça finit rarement tard pour les gens qui veulent aller en cours le lendemain.

Entre deux pagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant