Thaïs
J'ai peur. J'étais persuadée que je n'aurais plus jamais à penser à lui, que sa présence (sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie) ne me ferait plus rien, et que jamais plus l'idée de son existence ne serait évoquée devant moi. Et voilà qu'un malheureux point vert lumineux dans mes messages privés vient tout chambouler. Je croyais être indifférente, avoir dépassé ce genre d'émotions, mais depuis trois mois j'en suis toujours au même point. Je lui en veux.
Je n'aurais jamais dû descendre aussi bas dans mes messages. Il n'y a désormais qu'une poignée de personnes à qui je parle encore par Instagram. Je n'avais pas besoin de descendre aussi bas. Alors pourquoi l'ai-je fait ?
Je n'ai plus parlé à Gabriel depuis les heures précédant le bal du lycée. À ce moment-là, j'étais encore intimement convaincue que nous danserions ensemble, avant de partir au Canada deux mois plus tard. Depuis lors, Gabriel m'a envoyé des messages que je n'ai pas voulu lire. Je ne souhaitais pas qu'il sache que je m'intéressais encore à lui. Pourtant, il obnubilait mes pensées. Je me posais sans cesse les mêmes questions, mais pour rien au monde je ne serais allée chercher leurs réponses auprès du garçon le plus détestable au monde.
Par la suite, je n'ai plus reçu aucun message de sa part. Gabriel n'était plus qu'un personnage virtuel et lointain, qui étudiait dans une université de rêve avec sa sublime petite copine au Canada. Et voilà qu'aujourd'hui, constater qu'il est "là" me fait trembler. Je ne devrais pas avoir peur. En trois mois, j'ai eu le temps de changer et de devenir moins sensible qu'avant.
C'est affreux de sa part de continuer à vivre comme s'il ne s'était rien passé quand moi je n'y arrive pas. Son compte Instagram est une provocation. Je ressens son sourire lumineux comme une invitation à la haine, et je n'en peux plus de le voir aussi heureux sans moi. Ça m'épuise. Et comme je tombe de fatigue, je me résigne à découvrir ses messages.
Gabriel m'a beaucoup écrit, et a effacé, un à un, la quasi intégralité de ses envois, sauf un. C'est un message vocal, datant du soir où j'ai détruit la voiture de ma mère à l'aide d'un arbre centenaire assez coopératif. Il dure plusieurs dizaines de secondes. Je ne veux plus attendre, car peut-être que les réponses à mes questions se cachent dans cet enregistrement. J'essuie rageusement mes mains moites sur ma robe, puis j'appuie sur le bouton play. Les intonations si familières du garçon que j'ai aimé retentissent dans la chambre.
— Thaïs, c'est moi. On vient d'apprendre qu'il t'est arrivé quelque chose. Je m'en veux tellement ! Thaïs ! J'espère que tu es encore là ! Je ne pourrais pas le supporter si tu étais morte à cause de moi. J'ai fait une erreur, et tout est allé beaucoup trop vite après ça ! Je te jure que c'est avec toi que je voulais partir à Montréal. Je t'en supplie, réponds-moi. Tout n'est pas fini, on peut encore arranger ça. On peut encore s'aimer, toi et moi. Je t'en supplie, réponds-moi !
Son message est comme un océan. Il s'y noie toute la peine du monde. Et sa voix troublée, ses sanglots bruyants et ses bégaiements ponctués de hoquets m'arrachent des larmes douloureuses.
Si j'avais écouté ce message avant, peut-être que tout aurait été différent. Je ne serais sans doute pas là, dans la chambre factice d'un bar merveilleux, à attendre que mon alcoolémie décroisse. Je serais en colère, parce que Gabriel m'a trahie, mais je serais différente. Une myriade d'avenirs se serait offerte à moi, et ce garçon a tout gâché, encore une fois. Par sa faute, je ne suis qu'une fille triste et seule.
La mention Vu se dessine sous la supplication de Gabriel, preuve supplémentaire que j'ai cédé à cette odieuse pression. Puis trois petits points de suspension palpitent du côté gauche de l'écran, me confirmant que j'ai raison de m'inquiéter. Non seulement Gabriel est là, mais, plus que ça, il m'observe, tapi dans l'ombre. Pire : à plus de 2000 kilomètres de moi, il persiste à me torturer. Je ne comprends pas pourquoi il s'obstine à ce point. Mon coeur est déjà réduit en miettes, que pourrait-il en faire de plus ? Apparemment, Gabriel a une idée en tête, car les points de suspension arrêtent leur danse folle pour cracher ce pénible message.
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Entre deux pages
Novela JuvenilAlors qu'elle aurait dû passer cette année dans une université de rêve à l'étranger, Thaïs se retrouve à travailler dans la librairie de sa grand-mère et à fréquenter une fac où elle n'a jamais voulu aller. En effet, tout a changé pour elle depuis l...