Chapitre 22

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Thaïs

Je sens qu'on me bouscule, qu'on exerce des petites pressions régulières le long de mon épaule. Qu'on me pousse. Or je déteste plus que tout qu'on me presse dès le matin. Je tente de me redresser lentement, mais ma tête est lourde et endolorie. Je perçois dans le lointain la voix de mon frère, puis des bruits de pas, et soudain, les lueurs du jour m'aveuglent. Les yeux plissés, mon champ de vision est obstrué par des mèches de cheveux qui me gênent de part en part. Autour de moi, les murs deviennent plus nets, les objets retrouvent leurs contours. Je suis dans ma chambre. Comment ai-je réussi à arriver là ?

— Allô allô, ici votre commandant de bord Marceau qui vous parle ! Vous êtes à la maison, nous sommes jeudi, il est onze heures et demie, et vous avez séché tous vos cours magistraux de la matinée. L'équipage vous recommande vivement de vous laver et de vous habiller, sans quoi vous ne serez pas en mesure d'assister à vos Travaux Dirigés de l'après-midi.

Tout me revient. Ça me surprend comme une douche froide. Je suis morte de honte. J'ai été odieuse avec Axel, j'ai ruiné une soirée qui commençait sous les meilleurs auspices. Je n'aurais pas pu faire pire que ça. Et comme si ce n'était pas assez affreux, j'ai loupé tous mes cours du jeudi matin. C'est le pire réveil dont j'ai pu bénéficier depuis bien longtemps.

— Sérieusement, Marceau, onze heures trente ? Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas réveillée plus tôt ? 

Mon frère hausse les épaules, comme pris de court. 

— J'ai essayé de te réveiller pour que tu ailles à la fac, mais tu dormais. On aurait pu faire un concert de rock à côté de toi, tu n'aurais pas bougé. Mais j'ai déverrouillé ton portable avec ton empreinte digitale, j'ai consulté ton emploi du temps, et comme j'ai vu que tu n'avais que des cours magistraux ce matin, je me suis dit que tu ne serais pas plus pénalisée que ça.

Est-ce que j'ai bien compris ?

— Tu as... quoi ?

— C'était pour t'aider, tu étais complètement cuite hier soir. J'ai juste regardé ton emploi du temps là où tu l'avais rangé, tu sais, sur ton écran d'accueil, et j'ai reposé ton téléphone juste après. Tu m'en veux ?

— Ça me dérange que tu regardes mon portable en douce, soupiré-je, agacée par l'initiative de Marceau. Je ne veux pas que tu fouilles.

— Ne t'inquiète pas, riposte-t-il, je n'ai pas encore découvert que tu étais la chef de la mafia du coin et la date du prochain braquage de banque que vous planifiez avec ton gang.

Sa remarque m'arrache un sourire, et je tente de lui lancer un coussin en plein visage pour le faire taire. Il l'esquive de peu en se cachant derrière un placard, avant de me rappeler à l'ordre.

— Bouge-toi et va te laver et t'habiller, tu as cours à treize heures, je te signale. Je vais t'emmener à ta fac, et après il faut que je rejoigne Lionel à la menuiserie en deux deux. Je vais mettre ton vélo dans le coffre de ma voiture, histoire que tu puisses rentrer toute seule après. Je t'ai préparé un sandwich et je t'ai pris un muffin, tu mangeras en voiture. 

Mon bon Samaritain sort de ma chambre, avant de réapparaître à demi-caché derrière l'encadrement de ma porte :

— Au fait, tu n'oublies pas ta séance de cet après-midi avec ton psy ? Vous êtes censés vous voir après tes cours, à dix-sept heures, tu te souviens ?

Il ne manquait plus que ça. La dernière séance avec Monsieur Prévost s'est très mal finie, je n'ai aucune envie de remettre les pieds dans son cabinet avant un bon bout de temps. Il avait l'air sympa et compréhensif, mais il s'est bien moqué de moi.

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