Chapitre 14

397 88 86
                                    

Thaïs

— Pardon ?

Je suis tellement décontenancée que j'ai l'impression d'avoir mal entendu, mais la jolie brune coince une mèche de cheveux derrière son oreille et reprend la parole.

— Je disais : "Maintenant qu'on est seules, on va pouvoir parler". Parce que tu m'intrigues beaucoup, à vrai dire. Comment se fait-il qu'une fille, d'apparence si quelconque, ait réussi à s'immiscer entre Axel, Valentin et Noé ? Parce que, au cas où tu l'ignorais, ils forment un espèce de trio exclusif. Et toi, tu as réussi à l'élargir assez pour préoccuper Axel. On n'entend plus parler que de toi.

J'étais persuadée, d'après les dires de Noé, que mon interlocutrice était ivre morte, mais Chloé tient des propos clairs, même s'ils m'apparaissent assez farfelus.

— Donc, pour poursuivre mon raisonnement, puisque tu n'as pas le physique d'un mannequin, c'est que tu caches quelque chose. Tu dois avoir un secret particulièrement captivant. Peut-être un peu scandaleux, suppose-t-elle avec mesquinerie.

— Je n'ai strictement rien fait de ce que tu décris, répliqué-je en me levant de la banquette, énervée par ses élucubrations. Axel et moi sommes seulement amis, et je n'ai rien fait de singulier pour le connaître.

Chloé émet un rire lugubre.

— Dans ce cas, fais attention à toi ! Axel est prévenant et attentionné avec toi pour l'instant, mais il finira bien par te prendre quelque chose, de gré ou de force !

C'est moi ou elle est carrément folle à lier ?

Elle a peut-être réellement trop bu, en fin de compte. Je décide de m'éloigner de Chloé-la-folle-à-lier et me mêle à la foule qui stagne un peu partout dans le bar. Chloé et ses propos fantaisistes ont bel et bien réussi à me faire peur. Elle m'a scrutée des pieds à la tête, et j'ai cru l'espace d'un instant que mes yeux hurlaient "J'ai tenté de me tuer pour un garçon" dans le silence pesant. Par contre, j'ai du mal à croire ce qu'elle a dit à propos d'Axel. Même si je reste un peu méfiante à son propos, je suis de plus en plus persuadée que ses intentions sont honnêtes et désintéressées. Je préfère chasser cette impression bizarre de ma tête, et essayer de retrouver Axel et Noé, qui devraient déjà être revenus avec nos boissons, car la conversation que j'ai eue avec Chloé semble avoir duré mille ans. Je bouscule quelques personnes pour me frayer un chemin à travers la masse de gens qui discutent, collés les uns aux autres, mais je n'aperçois toujours pas de comptoir où auraient pu se trouver Axel et Noé. À la place, accrochées à un mur, des dizaines de photos prises avec un appareil photo Polaroid dévoilent les visages de ceux que je présume être les premiers clients du Speakeasy. Ils affichent tous de grands sourires et irradient de bonheur. Je suppose que c'est aussi ce que je dois faire.

Je continue à avancer tant bien que mal, lorsque je me retrouve nez à nez avec Valentin, qui arrive à contresens.

— Alors, vous avez réussi à entrer ?

— Difficilement, mais oui, nous avons réussi. Dis-moi, est-ce que tu sais où se trouve l'endroit où on peut se procurer à boire ? Axel y est déjà. Je voudrais le rejoindre, mais je ne sais pas comment faire.

— Le frigidaire !, s'exclame-t-il avant qu'une fille aux cheveux bleus et sa bande de copines ne le percutent et nous éloignent l'un de l'autre.

Je le remercie du regard, puis le vois se retourner pour aller retrouver sa sœur l'illuminée. Très vite, je trouve l'emplacement du frigidaire, et m'arrête devant sa porte pour lire les post-it qui y sont aimantés. Outre les "Ce bar est le meilleur du monde !" et les "Soirée géniale ! Ne venez ici qu'avec vos meilleurs potes !", un post-it attire davantage mon attention. Rose flashy, situé au centre de la porte, des lettres tracées en capitales d'imprimerie énoncent la recommandation "NE PRENEZ PAS FROID", ainsi qu'une flèche tournée vers la droite. Je suis la flèche des yeux. Sur un tabouret à côté du frigidaire, des plaids aux couleurs douces soigneusement pliés attendent que quelqu'un s'en empare. Je m'approprie le premier de la pile, le glisse sur mes épaules, et ouvre la porte du frigidaire.

Entre deux pagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant