Thaïs
Je vois Axel disparaître dans la machine à laver, et je mets quelques instants avant de me résoudre à le rejoindre, tant cela me semble irréel d'avoir à entrer au même endroit que celui où mes vêtements sales ont l'habitude d'aller. Je finis par m'y asseoir, coince ma jupe avec mes jambes, et glisse doucement le long du tambour. J'atterris sur un tapis matelassé et me relève d'un bond, trop préoccupée par le nouveau décor qui s'offre à nous. Nous sommes dans ce qui semble avoir été un jour un petit couloir d'immeuble, éclairé par des lumières rouges qui s'allument par intermittence. Devant moi, Axel est statufié en face d'une grande porte rouge sombre par devers de nous. Tout à coup, le judas de la porte s'entrouvre, laissant apparaître deux yeux sombres. Une voix caverneuse s'élève alors.
— Bonsoir, jeunes gens, et bienvenue dans le bar le plus secret d'Angers ! Ce soir, les lieux ont été privatisés par la corporation des étudiants de droit. Par conséquent, je vais vous poser une question; si vous répondez juste, vous aurez prouvé que vous êtes bel et bien des étudiants en droit. Sinon, vous devrez rebrousser chemin.
Nous acquiesçons silencieusement, impressionnés par autant de mise en scène, et notre Sphinx des temps modernes nous livre son énigme :
— Parmi les textes suivants, lequel ne fait pas partie du Bloc de constitutionnalité ? La Constitution, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, ou la Charte de l'Environnement de 2004 ? Réfléchissez bien, vous avez une minute, et pas une seconde de plus.
Axel lève les yeux au ciel et, sans vouloir lui mettre la pression, j'espère qu'il a sérieusement suivi ses cours de droit depuis le début de l'année. Ce serait franchement bête de se faire recaler si près du but. Heureusement, après une poignée de secondes, il s'avance vers la porte et affirme d'une voix assurée :
— L'intrus est la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948. Elle n'a rien à faire dans le Bloc de constitutionnalité du droit français.
Le propriétaire de la voix derrière la porte laisse planer le doute quelques instants, puis on entend un cliquetis de porte qui se déverrouille, et une silhouette masculine apparaît devant nous.
— Vous êtes effectivement des étudiants en droit ! Permettez-moi donc de vous souhaiter la bienvenue au Speakeasy, le lieu de tous les possibles !!!
Derrière lui, sur une piste de danse rectangulaire incrustée de LED, une foule de gens plus ou moins imbibés d'alcool se trémousse joyeusement au son d'une chanson à la mode ponctuée d'infrabasses. Le bar est superbe, et les murs sombres décorés de divers objets fluorescents donnent une ambiance psychédélique et assez aesthetic qui me plait énormément. Au plafond, au-dessus des personnes qui dansent, une forêt artificielle et lumineuse déploie ses branches dans un dégradé de bleus, violets, roses et blancs. Plus loin, des balançoires sont suspendues au plafond, et des fêtards se balancent plus ou moins fort dans un léger brouhaha en sirotant des cocktails colorés.
— C'est féerique, m'extasié-je, car chaque endroit où je pose les yeux m'émerveille.
— Amour !, s'exclame Axel en se tournant vers notre hôte. Ça fait longtemps que je ne t'avais pas vu. Alors c'est donc ça, ce projet secret !
Un frisson me secoue. J'observe le garçon blond à la dérobée. Avec sa chemise bleu sombre aux manches retroussées, son sourire jovial et ses yeux sombres, il a tout pour plaire, même à Axel.
Je rêve ou il l'a appelé "amour" ?! Je sais que nous n'avions pas clairement défini notre relation, qu'il ne m'aime pas et que je ne suis pas du tout séduite par lui, mais si Axel est gay, c'est vraiment un coup auquel je ne peux pas riposter.
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Entre deux pages
Novela JuvenilAlors qu'elle aurait dû passer cette année dans une université de rêve à l'étranger, Thaïs se retrouve à travailler dans la librairie de sa grand-mère et à fréquenter une fac où elle n'a jamais voulu aller. En effet, tout a changé pour elle depuis l...