Entre deux pages

Chapitre 4

Axel

Aujourd'hui, après la réunion de prérentrée, je rentre en trombe dans l'appartement de mon père, rue Chaussée Saint Pierre, et jette mon sac de cours dans ma chambre avant de m'affaler sur mon lit. Voir l'amphithéâtre rempli d'étudiants m'a rebuté, presque autant que le discours rébarbatif du professeur responsable d'année des L1 en droit. Où sont passées les vacances ? Il fait beau, l'été n'est pas encore fini. Avec Noé et Valentin, nous pourrions nous enfuir en voiture et partir aux Sables-d'Olonne, passer la journée à la plage, et terminer la soirée dans un bar ou au casino, à jouer au billard et se faire payer des tournées par les joueurs. Cependant, maintenant la plage se désemplit, les bars se vident et le casino est déserté par les joueurs ploutocrates. Ce n'est pas demain que je pourrai à nouveau faire une virée là-bas, et, étant donné le programme bien chargé qu'ont déjà prévu les professeurs de ma fac, je n'aurai pas le temps de m'ennuyer pendant mes prochaines vacances.

Je me relève, sors de ma chambre en traînant des pieds et me dirige vers la cuisine. Il faut que je commence à préparer à manger en attendant que mon père rentre de sa répétition. Je n'ai pas particulièrement envie de m'embêter à cuisiner quelque chose de très élaboré, et je pense qu'il ne m'en voudra pas si on mange des pâtes. Je fouille dans les placards et dans le bac à légumes du frigidaire et trouve des nouilles chinoises, une courgette, un brocolis, un poivron rouge et du gingembre. Je regarde quelques recettes sur internet, histoire de savoir comment préparer tout ça, et opte pour faire revenir les légumes à l'huile d'olive dans un wok.

Lorsque je débarrasse les épluchures des légumes, j'entends des pas dans l'escalier puis le visage de mon père apparaît brusquement de derrière la porte.

— Ah, tu as commencé à cuisiner, remarque-t-il en posant son sac en cuir sur le canapé.

— Oui. Il va falloir aller faire des courses d'ailleurs, le frigidaire ressemble au désert de Gobi !

— Bon, je vais m'en occuper cet après-midi. Regarde ce qu'on m'a proposé !, s'exclame mon père en me fourrant un livret d'opéra dans les mains.

Je commence ma lecture, pendant qu'il met le couvert et surveille la cuisson des légumes. Assez régulièrement, de nombreux compositeurs en début de carrière soumettent leurs créations à mon père, qui est chef d'orchestre, pour qu'il les fasse jouer à son orchestre, l'Orchestre National des Pays de la Loire (ONPL). Ça permet de les aider à lancer leur carrière et cela leur facilite l'accès à des orchestres davantage renommés, comme l'orchestre philharmonique de Paris, ou bien à des opéras prestigieux, comme l'Opéra Garnier ou encore l'Opéra Bastille, selon les préférences de chacun. Le livret que je tiens en main raconte les péripéties d'un adolescent qui se retrouve impliqué malgré lui dans des histoires de dark web. Il en découvre les multiples facettes, toutes plus dangereuses les unes que les autres, comme la vente de stupéfiants, les trafics de drogues, de médicaments, d'armes ou d'êtres humains, la prostitution, les sites conspirationnistes, islamistes, terroristes ou que sais-je encore. Par le biais de ce fil rouge, le librettiste et compositeur nous fait voyager à travers le monde; ses morceaux sont d'ailleurs énormément inspirés de motifs musicaux traditionnels de tel ou tel pays, mêlant tradition et modernité. 

À la fin de ma lecture, le regard posé sur moi, mon père demande :

— Alors, tu en penses quoi ?

— Je trouve son idée super cool, et ses compositions sont intéressantes. Tu joues ça quand ?

— Pas tout de suite, malheureusement. Le compositeur vient de divorcer, et son ex-femme lui a volé des partitions originales, dont elle se sert pour prétendre qu'elle est aussi à l'origine de cet opéra. Son ex-mari a donc porté plainte contre elle pour viol des droits de la propriété intellectuelle, mais bon, le temps que le procès se fasse, il y en a pour un bon bout de temps. C'est dommage, parce qu'il a du talent, ce gamin. Il a juste choisi la mauvaise femme.