20| Le jumeau

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HÉLIOS

Chaque année, en France, plus de quarante mille personnes disparaissent. Environ les trois quarts sont retrouvées et reviennent saines et sauves auprès de leur famille après les épreuves qu'ils ont vécu.

Le truc c'est que pour les 25 % restants, l'histoire est moins sympa. Dix mille personnes ne réapparaissent pas et la plupart du temps, personne ne comprend jamais pourquoi est-ce qu'ils ont disparu. C'est souvent des histoires sordides : meurtre, enlèvement, séquestration. On n'en a jamais la preuve, mais on imagine forcément le pire.

Parmi ces disparus, il y a ceux qui ont des accidents. Ils tombent d'une falaise en randonnée, sont victimes d'une catastrophe naturelle ou crashent leur voiture dans un lac paumé en rentrant de soirée. Ces gens-là n'ont pas de chance, c'est tout. Leurs familles souffrent indéfiniment de ne pas savoir la vérité mais au moins, la personne disparue n'a pas causé cette souffrance volontairement – même si personne ne le sait jamais.

Et puis, enfin, il y a les évaporés. Ceux-là disparaissent du jour au lendemain sans laisser de trace : ils s'évaporent comme de l'eau qui sèche au soleil, d'où le nom qu'on leur a donné. Ils partent volontairement sans dire au revoir à personne, ne donnent aucun indice, ne laissent aucune information. Ceux-là détruisent des vies et le pire, c'est qu'ils s'en fichent. Ils ont changé la leur, et c'est tout ce qui compte à leurs yeux.

Mon frère, Ethel, est un évaporé.

Avoir un jumeau, c'est l'une des plus belles choses qui existe sur cette Terre. Ce lien inexplicable qui relie deux êtres m'a toujours surpris quand Ethel était encore là, près de moi. On était très différents et pourtant, je ressentais toujours ce qu'il ressentait et inversement. On se comprenait en un regard sans même ouvrir la bouche, on savait comment l'autre allait réagir, ce qu'il pensait, ce qu'il avait envie de dire ou de ne pas dire. On était connectés, c'est tout.

C'est pour ça que le jour où il est parti, j'ai eu l'impression qu'on m'avait arraché un bout de moi.

Un soir, il avait l'air soucieux en rentrant de l'école. Il était assez solitaire, il avait peu d'amis et était assez renfermé contrairement à moi alors bêtement, je me suis dit qu'il devait être triste à cause de ça. Je me suis allongé sur mon lit, placé juste en face du sien dans la chambre que nous partagions, et je l'ai regardé lire sa BD en essayant de comprendre s'il allait réellement mal ou si c'était seulement une petite frustration passagère.

Au bout d'un moment, il a intercepté mon regard curieux et a haussé un sourcil l'air de dire : « quoi ? ». J'ai secoué la tête de gauche à droite, et il s'est replongé dans sa lecture. Je l'ai regardé encore un peu, soucieux, mais j'ai fini par conclure qu'il allait bien et j'ai commencé à dessiner.

Ce soir-là on s'est douchés, on a mangé et on a fini nos devoirs côte à côte juste avant de dormir. Je lui ai raconté des histoires idiotes à propos d'une fille de mon cours de maths expert, on s'est dit bonne nuit comme d'habitude, puis je me suis endormi en premier.

Quand j'ai ouvert les yeux au petit matin, le lit en face de moi était vide.

Il était parti. Comme ça, sans un mot. Juste... parti.

Mes parents étaient complètement paniqués et moi, je sentais quelque chose allait réellement de travers. J'ai regardé toute la famille angoisser et appeler la police pendant que j'essayais de calmer les battements affolés de mon cœur qui, déjà, savait que rien ne serait plus jamais comme avant.

Les agents chargés de l'affaire ont mis à peine deux heures pour comprendre ce qu'il s'était passé. Un achat de ticket de bus sans destination avait été acheté via l'ordinateur de mon frère et son compte en banque avait été débité du montant nécessaire à cet achat. La dernière fois que les caméras de surveillance l'ont repéré, il était en train d'entrer dans la gare routière parmi un énorme flot de passagers, son casque sur les oreilles et les mains enfoncées dans les poches de son sweat noir, celui qu'il mettait tous les deux jours parce qu'il ne voulait pas porter une autre couleur et que ma mère refusait de se plier à ses exigences quand nous achetions des vêtements.

GRENADEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant