26| Les au revoir

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MAIA

Je m'étais promis de ne pas faire ça.

J'avais promis à Hélios de ne pas faire ça, aussi. Hier soir, dans le lit, quand il m'a demandé si je comptais dire au revoir à Rose avant de partir, j'ai presque ri tellement l'idée me paraissait bête. Marc ne souhaite pas que je m'approche de sa fille, et elle ne sait même pas qui je suis. Je l'ai abandonnée. Je n'ai plus aucun droit de vouloir lui parler, même pour lui dire au revoir.

Seulement, alors qu'Hélios s'était endormi, j'ai repensé aux petits chignons bruns constamment perchés sur la bouille ronde de Rose. J'ai repensé à son sourire éblouissant à base de dents de lait, de ses petites mains brandies en l'air pendant sa chorégraphie de danse et à son rire cristallin quand elle a retrouvé Céline après l'école.

Alors, soudain, j'ai eu peur que tout s'efface en partant sans la revoir une dernière fois. J'ai eu peur de ne plus me rappeler ces détails, d'oublier ces fragments d'âme que j'ai pu entrevoir. Ne pas la prendre dans mes bras avant de la confier aux pompiers m'a détruite, et j'ai refusé de refaire la même erreur.

Pour autant, maintenant que je suis sur le pas de sa porte, je ne me sens plus tout à fait aussi sûre de moi.

Je me balance d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Je jette un œil par la fenêtre, regarde ma montre, regarde de nouveau par la fenêtre, m'essuie les pieds sur la paillasson, lève la main pour frapper à la porte puis me ravise. Encore.

Je répète ce schéma pendant de longues minutes, tellement de fois que je finis par me demander si je vais finalement être capable de frapper à la porte.

— Maia ?

Je sursaute en entendant mon prénom retentir derrière moi et me retourne d'un seul coup, comme prise en flagrant délit. Je tombe alors nez-à-nez avec Marc, qui est en train de remonter l'allée de la maison avec un sac de course rempli dans chaque main et ses clés de voiture coincées entre les dents. Il porte un gilet gris et un vieux jean et a le bout du nez rouge à cause du froid. À cet instant, il me fait penser à mon père.

— Bonjour, dis-je en manquant de m'étrangler avec ma salive.

— Bonjour, répond-t-il en s'immobilisant près de moi.

Il dépose ses deux sacs à nos pieds et retire ses clés de sa bouche, les glissant dans la poche de son gilet. Il me regarde d'un air méfiant, presque comme s'il se demandait quel mauvais coup suis-je en train de préparer.

— Je pars cette après-midi, dis-je d'une traite.

— Ah, c'est aujourd'hui... Céline m'a dit que tu repartais au Canada.

Je ne peux m'empêcher d'avoir un coup au cœur en les imaginant dans le lit conjugal, partager leurs soucis avant de dormir. Penser que je puisse en être un pour eux manque de me faire vomir.

— Oui, euh... Ces derniers mois sont passés vite.

— J'imagine.

Un silence gênant au possible s'installe entre nous, ce qui pousse Marc à se racler la gorge en demandant :

— Et alors, qu'est-ce que tu viens faire ici ?

Sa question est directe et pourrait paraître un peu sèche, mais elle ne l'est pas réellement. Il a seulement l'air inquiet des dommages que je peux causer dans sa vie, ce pour quoi je ne lui en veut pas. Il a raison de se méfier de moi.

Ça me conforte dans l'idée que j'ai bien fait de le choisir pour élever ma fille.

— Je venais voir si vous seriez d'accord pour que je dise au revoir à Rose.

GRENADEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant