22| L'enterrement

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HÉLIOS

La maison de Maia est vendue.

C'est Barbara qui m'a annoncé la nouvelle ce matin, par texto. Je suis encore tellement éprouvé par cette nuit terrible où Allison m'a réveillé pour me hurler mes quatre vérités à propos d'Ethel que je n'ai même pas répondu. Un problème à la fois.

Je réalise que Maia va partir, seulement... Je suis trop concentré sur ma sœur pour y penser réellement. Allison a eu raison sur toute la ligne.

Ethel et moi étions jumeaux et la force de notre lien nous a poussés à constamment rejeter Allison. Elle était toujours la troisième roue du carrosse, la grande sœur reloue qui nous fait la morale et nous balance aux parents. Elle essayait de réduire nos couvre-feux sous prétexte qu'elle n'avait pas le droit de se coucher à cette heure-ci quand elle avait notre âge ou cachait la télécommande quand on jouait aux jeux vidéos au lieu de faire nos devoirs et à cause de tout ça, on lui en voulait. J'ai compris seulement aujourd'hui qu'elle essayait d'être juste, et impartiale. Et surtout, qu'elle faisait ça pour nous.

Je n'avais jamais réalisé à quel point mes parents et moi avions indirectement forcés Allison à prendre les rennes de la maison. Comme elle ne s'en est jamais plainte, j'ai bêtement pensé que ça lui allait. Non ; en fait, avec le recul... Je réalise que je n'ai rien pensé du tout. J'étais bien trop occupé à essayer de survivre sans Ethel pour penser à quoi que ce soit.

Allison aussi a perdu son frère et pourtant, elle est la seule à être restée forte à toute épreuve. Elle n'a jamais râlé à propos de ce qu'on lui demandait de faire ; elle l'a fait, c'est tout. C'est elle qui m'a acheté des cahiers pour m'exprimer quand j'avais l'impression que rien n'avait plus de sens et qui remplissait mon assiette. C'était aussi elle qui appelait mon père chaque soir pour savoir s'il avait du nouveau dans ses recherches, tout simplement parce que c'était la seule capable d'endurer chaque jour une autre mauvaise nouvelle.

J'étais en morceaux, et Allison aussi. La différence entre nous deux, c'est qu'elle a préféré les recoller avec ce qu'elle avait pour continuer d'avancer plutôt que d'attendre, comme moi, que le temps fasse son œuvre et que l'envie de vivre revienne.

Peut-être que si ma mère avait tenu le coup, ou si moi je l'avais fait, elle n'aurait pas fait ce choix de rester forte. Peut-être qu'elle se serait écroulée, elle aussi. Peut-être qu'elle aurait pleuré, encore et encore, qu'elle aurait regardé le plafond, trié des photos, pleuré encore. Peut-être que c'est moi qui aurait fini par la forcer à ne plus jamais parler d'Ethel pour la pousser à donner un coup de pied sur le sol pour remonter à la surface. J'en sais rien. On ne saura jamais.

J'ai mis trois ans à réaliser que dans cette histoire, je n'avais pas été la seule victime. Trois années pendant lesquelles j'ai écrit, dessiné, griffonné, gribouillé, noirci des tas de cahiers pour déverser ma peine alors que ma sœur était juste là, dans la pièce d'à côté, prête à m'écouter et à partager sa propre peine. On aurait pu se serrer les coudes, se soutenir, mais je nous en ai empêchés. En m'écroulant comme je l'ai fait, je nous ai empêchés de faire notre deuil d'Ethel ensemble.

C'est sur cette pensée que j'ai décidé de lui organiser une surprise, ce matin. Ce n'est pas une surprise joyeuse, mais plutôt une surprise thérapeutique. Ça fait longtemps qu'on aurait dû faire ça.

Ça fait longtemps que j'aurais dû être là pour elle.

— À droite, lui indiqué-je, les yeux sur le GPS affiché sur mon portable.

Ma sœur s'exécute. Elle a essayé de deviner où nous allions, mais elle n'a jamais réussi à trouver malgré tous ses essais. Du coup, je crois qu'elle est frustrée. Ou alors, peut-être qu'elle a peur.

GRENADEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant