Je suis foutu

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Si je vous dis que cette famille se différencie des autres, vous devez me croire. Si je vous dis que vivre à côté de ses personnes est une erreur, vous devez me croire. Si je vous dis que la personne qui se trouve présentement dans la chambre de Mbayang habite dans la maison, vous devez me croire. Si je vous dis que c'est Tonton Birima qui est dans la chambre de Mbayang, vous devez me croire. « Tel père, tel fils », cette expression impose sa forteresse. L'élucubration la plus patente est ce partage du gâteau de Mbayang que font Tonton Birima et Yamar. Je sais que cette famille est une poubelle avec des tonnes de saleté. Je sais que beaucoup d'ignominies, de méchancetés, de crimes ont été faits par les membres de cette famille. Toutefois et même dans mes rêves les plus fous, je n'ai jamais pensé que leurs bassesses leur pousseraient à faire ces choses. Pourquoi sont-ils si mauvais ? Pourquoi sont-ils aussi répugnants ? Il doit y avoir une raison particulière dont l'apodicticité ne fait plus l'ombre d'un doute. Mbayang aussi est une véritable pétasse. Pour rien au monde, elle doit accepter de coucher avec un père et son fils. La stricte humanité perd son originalité face à l'émergence de la stricte animalité. Je doute même que les animaux continuent de faire ces genres de choses. Je suis fâché contre Mbayang. Elle n'a plus de valeur à mes yeux. Le lendemain, je ne la salue pas comme avant. Elle remarque que je me suis comporté d'une façon inhabituelle avec elle. J'essaie de me racheter un tout petit peu mais mon cœur est meurtri et endolori par cette facilité qu'à Mbayang de coucher avec tous les hommes. Mais à y regarder de plus près, je mesure que je ne suis pas plus juste que Mbayang. J'ai fait et continue de faire l'amour à deux jumelles. Si je couche avec deux sœurs ; peut-être que Mbayang a aussi le droit de se laisser endoctriner par un père et son fils. La juger c'est faire du « deux poids deux mesures ». Et même si ce n'est pas cela, moi je ne connais rien de Mbayang. Je ne sais même pas dans quelles circonstances, elle est arrivée dans cette maison.

Tata Chimène a changé depuis ce fameux épisode dans sa chambre. Elle est devenue plus réservée. C'est cette nature qui la captive le plus. C'est cette attitude qu'elle a eu à me montrer quand j'ai tapé pour la première fois à la porte de sa maison. Je sais la raison. Malheur à ses enfants qui croient que cette inhospitalité est fruitière de son caractère d'antan. Ils ont été ravis de son changement. Mais la revoir comme ça ne leur donne pas trop d'espoir. C'est leur problème. Qu'elle soit aigrie ou joyeuse, amère ou contente, elle va payer.

Cela fait maintenant plus d'un mois que Maître Isidore a introduit la demande en appel de Marody. Le nouveau procès est programmé pour aujourd'hui. Le Palais de Justice est grouillant de monde. Le banc des accusés est globalement occupé. La salle est pleine à craquer. Je m'assois à la troisième rangée et je vois le cortège d'accusés. Chacun d'eux explique pourquoi il a fait les choses qui lui sont reprochées. Beaucoup confirment leur culpabilité. Il n'y a qu'un petit groupe qui rejette les faits. Les avocats avouent leur expertise avec toute la maturité requise. Ils se suivent et se contredisent. Ils astucient leurs plaidoiries en condensant des preuves prises on ne sait d'où. Ces hommes ne sont pas tous des faux dévots. Certains d'entre eux font des choses exceptionnelles pour sortir d'affaire leurs clients. Aujourd'hui, la conception erronée du métier fait que beaucoup de parents se sentent découragés quand leurs enfants s'intéressent au corps des hommes en robes noires. Pourtant aucune justice ne peut fonctionner sans une défense forte. Arrêtons alors de salir les robes noires et redonnons au barreau ses lettres de noblesse. Le Procureur, Maître des poursuites, représentant du Ministère Public, confirme sa témérité et sa perspicacité. Le magistrat debout comme aiment l'appeler les apprentis juristes n'est satisfait que quand les accusations portées contre un détenu sont fondées. Le Procureur a pour mission de condamner l'accusé. Il a tout avec lui. Il peut ordonner l'enquête et requérir tous les éléments nécessaires pour sa bonne exécution. Lui également, il est souvent mal compris et jugé à tort. Dans les normes le Procureur n'est pas là pour des obligations politiques. C'est un magistrat debout, certes le parquet est rattaché au Ministère de la Justice, mais sa mission est de protéger ceux qui semblent être les victimes. Toutefois, et il faut le reconnaître, dans certains systèmes judiciaires comme le nôtre, il y a toujours une main ailleurs qui guide et téléguide ce magistrat debout, debout car il ne parle jamais en s'asseyant. Enfin viennent ceux qui ont l'autorité de la chose jugée. Aussi appelés magistrats assis par opposition au magistrat debout, les juges portent des robes rouges. Ils sont aux commandes de la décision à prendre. Ils font partie d'un corps spécial, travaillent dans un procès en parfaite collégialité. Ils ne cherchent pas à condamner. Ils condamnent ceux qui sont condamnables. Leurs sentences sonnent comme des couperets parfois. Ils ont une formation très solide. C'est très difficile, extrêmement difficile, je dirai, de devenir juge. La population crie tous les jours au scandale pourtant ce qu'elle ignore c'est que le problème n'est pas à mettre à l'actif des hommes qui incarnent la justice mais à l'actif d'un système endommagé et paralysé. Je connais bien ce que je vous dis. N'empêche je me réserve le droit de me concentrer sur l'essentiel : la libération de Marody. Il est le dernier à être appelé à la barre. Son avocat Maître Isidore se démène comme un beau diable pour l'innocenter. Je me dis alors que certains ont raison de douter de la franchise des avocats. Si aujourd'hui Maître Isidore veut innocenter un coupable accusé et déjà condamné à cinq ans de prison ferme pour détention et vente de stupéfiants, c'est parce qu'il est prêt à déployer tous les moyens nécessaires, mentir pour avoir raison, c'est son objectif. Tous ses procès gagnés, il ne les a pas remportés en étant loyal. Je m'en fiche en tout cas car les questions d'émotions ne font plus partie, vous le savez bien, de mon dictionnaire. Après un tour d'horloge, le moment tant attendu est arrivé. Comme à eu à me le promettre Maître Isidore, Marody est libéré cette fois. Je ne peux qu'être content de cette décision. À ma sortie du tribunal, je revois Hermione. À ce qu'il paraît, elle est pressée. Je me demande bien sûr ce qu'elle peut bien faire là. Il se peut qu'aujourd'hui soit également le procès de son frère, j'espère juste qu'il a été relaxé.

Deux jours après, Marody et moi avons décidé de nous rencontrer. C'est lui qui me propose le lieu de la rencontre. Il me dit avoir avec lui toutes les preuves qui condamneraient Yamar. Je veux réellement savoir ce que Yamar cache mais ce qui m'intrigue le plus c'est sa relation avec Marody. Les deux hommes appartiennent à des classes sociales différentes. Rien ne doit alors les opposer. Sauf que Yamar appartient à une famille où la pérennisation du culte de l'avoir et du pouvoir est mise au chevet de tout. L'esprit machiavélique de la force a fait la puissance de sa famille. Tous les moyens sont bons pour avoir ce qu'elle (la famille de Yamar) veut. Je suis resté dans ce lieu pendant plus de trente minutes. Je commence à perdre patience. J'appelle Marody et il ne répond pas. Je commence à m'inquiéter. Il n'ose pas me faire faux bond, je le pense vraiment. S'il ne se pointe pas, il saura de quel bois je me chauffeur. Quinze minutes de plus et il ne vient toujours pas. Je comprends que je suis encore trahi par mon obsession à donner tant soit peu ma confiance. Je reprends le chemin du retour. De loin, je vois des gens s'attrouper. Je m'approche pour voir ce qui se passe. C'est un accident. Un motocycliste a été brutalement heurté par un camion. Je ne suis pas le plus chanceux des hommes et j'ai eu la confirmation aujourd'hui. Je me suis rapproché pour voir le corps sans vie du motocycliste. C'est Marody. Pas un autre, le même Marody. Celui qui doit me donner les preuves. Je fais semblant de ne pas le connaître. Je marche à côté pour voir est-ce qu'il y a un classeur, un sac, une clé USB... Je ne trouve rien. Les pompiers arrivent quelques minutes plus tard pour acheminer le corps sans vie de Marody. Qu'il croupisse en enfer. Je suis très remonté contre lui.

Je suis très épuisé quand je suis revenu à la maison. Je suis tombé sur Yamar qui a l'air agité. Je suis en bas et je ne sais pas ce qu'il parle au téléphone et avec qui. Je suis juste certain qu'il parle avec énergie. Il y a trop de coïncidences. Je ne pense pas vraiment qu'il soit mêlé à cet accident. À moins qu'il ne soit un monstre, il ne tuerait pas Marody. Encore et comme toujours, je veux vendre la peau de l'ours sans l'avoir tuée. Il faut que j'arrête une bonne fois pour toutes de penser et d'admettre comme telles les choses. Le monde est fait d'illusions alors pour y vivre il ne faut plus rêver ou penser, il faut être réaliste. De plus, dans cette jungle qu'est la maison de Tata Chimène où je me suis livré, il n'y règne que la loi du plus fort, autant je me comporte en proie sans défense et je me ferais écrasé comme ma mère, autant je me comporte comme un prédateur affamé, et j'attaquerais, je cognerais et je gagnerais. La loi du talion est claire : « œil pour œil, dent pour dent ».

J'appelle Hermione pour discuter avec elle. J'ai récupéré son numéro de téléphone via Mbayang. Je la téléphone mais en vain. Ça tombe toujours sur son répondeur. La nuit, je reprends mon air de pervers sexuel. Je frappe à la porte de Mbayang. Elle a cru que c'est Yamar ou son père. Elle ouvre et me voit. Je peux voir son ébahissement. Elle me dit le corps glacé.
— Toi aussi t'es comme les autres ?
Cette phrase coagule mon sang. Elle me fait vibrer. Je suis venu pour goûter à son gâteau. Mais la façon dont elle parle et cette phrase qu'elle vient de me dire m'ont fait changer d'avis. Je mens sur-le-champ.
— Non, je ne suis pas là pour ça. S'il te plaît, tu peux me croire. Je suis juste venu pour discuter avec toi.
Je la console en essuyant ses larmes. Je lui demande de me dire toute la vérité. Elle doute toujours de moi. Je lui raconte tout ce que je sais de ses liaisons intimes avec Tonton Birima et Yamar. Elle a la peur au ventre à ce que je vois.
— Je ne veux pas mourir. Sors de ma chambre s'il te plait. Si je parle aussitôt je serais supprimée.
Mbayang me supplie de sortir de sa chambre. Je fais ce qu'elle me demande. La situation de Mbayang paraît plus grave que je ne la pense. Arrêtes de penser Mama Goumbale ! Tu dois agir, bon sang ! Que peut-il bien savoir Mbayang ? Je refuse d'accepter que ce ne sont pas uniquement ses relations avec ces deux pervers. Pourtant, ça peut bien être le cas car c'est humiliant qu'une servante dénonce un père et son fils.

Cette même nuit, je décide de faire un petit bilan de mon travail. C'est normal de voir où j'en suis avec ma revanche. Je prends mon petit sac et j'étale toutes les photos de la famille sur mon lit. C'est maman qui me les avait remises quand j'ai décidé de me venger. Il n'y a jamais eu de maison que j'ai visité d'ailleurs avant de venir dans celle-ci. C'était juste un moyen de mentir à Tata Chimène. Mon travail a commencé depuis deux ans et je connais beaucoup de choses sur elle et sa famille. Ce que je veux par contre dépasse de loin ce que je sais déjà. Les photos sont bien étalées sur le lit. Il y en a plein. Je fais des schémas. J'analyse la situation.
— Qu'est-ce que tu fais avec nos photos ?
Je suis foutu cette fois.

À suivre...

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