La revanche ne date pas d'aujourd'hui

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Les paroles de maman retentissent encore dans ma conscience. Elle avait raison. Elle a vu venir cette situation qu'elle a su me prévenir à temps. Je ne me fais plus surprendre par les vérités. Les découvertes qui se défilent tous les jours dans ma tête n'ont plus de poids, elles ne m'accaparent plus, elles me donnent juste des idées supplémentaires sur la personne de Tonton Birima. Si j'avais une bonne relation pouvant me permettre de discuter avec lui, j'aurais préféré lui demander pourquoi il ne cesse de faire du mal aux personnes qui l'entourent. Quand j'étais petit, mon maître me disait que la morale empêchait les gens de faire du mal. On ne récolte que ce que l'on a semé. Je veux réellement savoir si Tonton Birima connait le sens de ce proverbe. À force de faire du mal, il a fini par s'y accoutumer de sorte qu'il ne connaisse plus rien des vertus du bien. Dans la vie, il faut savoir garder ses principes. J'ai le sentiment qu'il y a une vie antérieure qui sert de prétexte à Tonton Birima pour qu'il se comporte ainsi avec toutes les personnes qui prennent le risque d'entrer en contact avec lui. Je suis persuadé qu'il n'est pas né comme tel. Aucune naissance ne peut renfermer des malheurs de cette sorte. La vie de Tonton Birima est une malédiction ; elle est surchargée de tonnes de péchés, d'erreurs répétées, de dérapages infinis. Il faut juste que je sache pourquoi cette personne garde avec elle autant de haine, de mal vivre, de répit et de méchanceté. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir des frissons. Je suis consterné par la douleur de Nabou. Est-ce que je n'ai pas été dur dans mes jugements envers elle ? Il se peut qu'elle vive avec les menaces de son père depuis des années. Il se peut qu'elle ait été violée par celui-ci depuis des années. Il se peut que sa vie soit détériorée et bousillée par son père. Avec qui Tonton Birima n'a pas couché dans cette maison ? Tata Chimène, Mbayang, Nabou,... Et Astou ? Je ne serais pas prétentieux de supposer qu'il a goûté au gâteau d'Astou. Maman avait dit vrai en me clarifiant que venant de cette personne, rien ne pouvait constituer une surprise pour elle. C'est terrible mais la fin de toutes ces péripéties se dessine à grand pas.

J'ai convenu d'un rendez-vous avec Hermione au centre-ville pour qu'on parle de nos liens de parenté. Je reste sur place tout en regardant le décor désastreux de ces grandes lieues auquel je fais face. Le centre-ville de la commune de Louga n'a rien d'un centre ville. Je suis né à Dakar, j'ai grandi à Louga et j'ai étudié à Saint-Louis. Si je compare les trois centres-villes, je dirais que celui de Louga est d'un cran en dessous des deux autres. La place publique vient d'être rénovée, en face d'elle l'hôtel de ville fait peau neuve, à part ça le reste est un paysage vétuste. Je me dis souvent que la commune de Louga est celle qui est la plus oubliée depuis l'ère de la communalisation. Les maires qui se sont succédés à Louga décrivent l'idée d'incapacité. Ils n'ont rien fait dans cette commune pour permettre à la jeunesse lougatoise de croire aux possibilités qui s'offrent à elle. Cette jeunesse s'est sentie éraflée et blessée par les discours somptueux des soirées de campagnes électorales qui, scrutés de fond en comble, ne présentent que des mensonges. Le culte de la démagogie inspire beaucoup les politiciens lougatois. Qu'ils sont nuls, trop nuls, hyper nuls. Ils sont nombreux ces politiciens lougatois qui n'ont pas fait des études poussées et qui, aujourd'hui, se font suivre comme des mages. Je me rappelle d'un meeting où un des candidats à la municipalité a osé traiter les Lougatois de volailles qui ne faisaient que suivre le volailler qu'il est ; il a dit en outre qu'il a avec lui une quantité importante de blé à leur donner ; bizarrement c'est ce candidat qui a gagné les élections. Comme quoi, la faute est partagée ; nous ne savons pas comment devons-nous élire nos représentants locaux. Un problème endémique visible et perceptible dans tout le Sénégal. L'heure est venue pour changer la donne. L'homme qu'il faut à la place qu'il faut, il est grand temps qu'on fasse nôtre ce sacerdoce. Les autres régions considèrent Louga comme le terroir des « modou modou ». C'est vrai, personne n'en doute, mais Louga a tout pour que sa jeunesse s'épanouisse. Yéna xam ; sen affaires leu ; samay problèmes deuk dama koy dioy. Dites merci à Hermione qui vient d'arriver sinon j'allais continuer à vous enquiquiner avec les problèmes de ma commune. Louga c'est ma vie. Les fous me diront que ta vie c'est comme tu l'as déjà dit ta mère. Je ferme une nouvelle fois la parenthèse.
— Hermione, je sais bien ce que te cache ta mère ?
— Tu sais ce que me cache maman ?
— Oui Hermione. J'ai découvert la vérité.
— Je t'écoute Boulaye.
Je raconte à Hermione ce que m'a dit grand-mère Philomène. Je finis le récit en lui informant que nous sommes des cousins. Son abasourdissement est total car sa maman ne lui a jamais dit des choses concernant sa grand-mère. Elle veut faire la connaissance de Mère Philomène. Je trouve l'idée enchanteresse. La seule erreur est que Hermione raconte notre conversation et celle qu'elle aura tout à l'heure avec grand-mère à Tata Joséphine. Le moment est délicat, le contexte est particulier, toute nouvelle peut déclencher une crise émotionnelle intense en elle. Sa maladie est un frein. Mieux vaut ne pas prendre de risque ; elle saura la nouvelle quand son état de santé connaîtra une amélioration. Je rentre à la maison avec Hermione. Maman et grand-mère m'attendent depuis lors pour que je leur explique d'une manière plus détaillée ce qui se passe. Avant de commencer, j'appelle maman et grand-mère dans une des chambres de l'appartement pour bavarder avec elles.
— Vous ne devez pas prononcer le nom de Samantha en face de cette fille. C'est la fille de Samantha mais elle ne connait pas ce nom ; elle connait Joséphine.
Ma grand-mère sourit pour me retorquer.
— Samantha c'est Joséphine. Son vrai nom c'est Joséphine mais Samantha est son nom de jeune fille.
Grand-mère n'a rien compris. Si Hermione sait que sa maman s'appelle aussi Samantha, elle pourrait remonter jusqu'aux paroles d'Étienne et là elle saurait que Tonton Birima est son père et par ricochet qu'elle attend un enfant de son propre frère.
— Grand-mère, tu n'as pas compris. Il y a beaucoup de choses que tu ignores. Après, je vais vous expliquer.
Nous sortons pour rejoindre Hermione.
— Je vous présente Hermione ; c'est la fille de Tata Joséphine ; elle sait toute la vérité ; elle est venue pour te rencontrer grand-mère.
— Je suis ravie de te rencontrer ma petite-fille. Je suis vraiment aux anges aujourd'hui. Et ta maman comment elle va ?
— Elle va bien ; juste que ces temps-ci elle est un peu malade. C'est pourquoi je ne veux pas qu'elle sache ta venue pour le moment grand-mère. Il faut qu'on y aille doucement avant que son état ne s'empire.
— Je suis d'accord Hermione, approuve grand-mère.
— Je suis heureuse de te voir ma nièce ; tu es très belle. J'ai une grave envie de retrouver ma jumelle.
— Merci tata ; t'es aussi toute élégante comme maman.
Je les laisses seules discuter. Que peut bien faire un homme dans une discussion entre femmes ? Je blague. Après quelques instants, j'ai raccompagné Hermione chez elle avant de rentrer. J'ai oublié de lui demander si elle a parlé de sa grossesse à Yamar. J'espère vraiment qu'il ne sait rien pour le moment.

L'appel d'Étienne vient couper ma sieste le lendemain. Étienne est l'homme aux bonnes nouvelles.
— Mec, j'ai vu juste ; Yamar est un promoteur des LGBT au Sénégal ; il est de mèche avec certaines autorités. Je l'ai suivi jusqu'à Saly et il est entré dans une maison avec un célèbre homosexuel. Ils sont restés dans cette maison pendant environ cinq heures de temps.
— Et je soupçonne qu'ils n'y étaient pas pour une simple discussion ?
— Je ne sais pas ce qu'ils faisaient dans cette maison isolée à côté de la plage. Mais, on peut avoir une idée là-dessus.
— Je connais cette maison ; c'est la seconde de la famille. Je ne sais plus quoi dire de cet homme. Avec sa grosse gueule, il couche avec un homme.
— Je vais continuer mes recherches. On doit accélérer la cadence. J'ai un plan et une fois à Louga, je vais te le présenter.

Quel bonheur peut ressentir un homme qui couche avec un autre homme ? Rien qu'à y penser, j'ai des tourments. C'est dégueulasse. On doit tout faire pour empêcher que ces valeurs occidentales soient légalisées dans notre pays. Les organisations des droits de l'homme qui veulent que les lobbies LGBT soient acceptés au Sénégal doivent être supprimées. Nous ne sommes pas dans un pays occulte. Nos valeurs ne sont pas à échangées avec des vertus si connes et si folles. Je suis prêt à faire tout pour que les homosexuels ne poireautent pas dans notre pays.

Ça fait des jours que je n'ai pas vu mon ami Mayoro. Ses conseils et pensées me manquent. Je suis allé le voir dans sa place.
— Je suis fatigué Mayoro. Les souffrances sont plurielles et je ne sais pas quoi faire.
— Il n'y a aucune souffrance vague ou aventurière, passagère peut-être, mais inopportune, jamais. Toute souffrance est explicative d'une réalité, toute réalité est mère d'une orientation à deux variables, soit on accepte cette souffrance et on essaie de profiter de ses enseignements, soit on reste alité et on perd les notions d'endurance et de courage. La raison d’être des moments difficiles n’est pas de nous faire du mal, mais de nous apprendre où est le vrai bien et de nous rendre ainsi plus forts intérieurement. Les souffrances nous apprennent la vie.
— J'ai l'impression que dans cette vie, tout le monde est libre de faire ce qu'il veut, la famille n'a pas trop d'importance, les parents n'ont rien à nous dire, nous sommes libres.
— Il est hyper appréciable de penser à notre famille mais surtout et spécialement à nos parents avant de faire certaines choses. Cette liberté personnelle que nous slalomons et zigzaguons, dans la réalité, n'est que blabla. On n'a aucune liberté qui doit nous pousser à enfreindre notre moralité et les bonnes mœurs qui constituent notre école personnelle. Nos parents ne méritent pas cette avanie et cette mortification qu'ils vivent à cause de nous. Nous ne pensons pas à eux quand nous nous faisons enceinter gratuitement, aussi quand nous enceintons la fille d'autrui
— Devons-nous devenir d'autres personnes, bonnes ou mauvaises, quand nous découvrons une nouvelle vie, un nouvel endroit, un nouveau mode ?
— Nous ne devons pas oublier là où nous venons. Beaucoup de personnes deviennent étrangères aux valeurs qui les ont vu naître. En voyageant, en découvrant d'autres horizons, en devenant quelqu'un, on peut penser avoir des ailes. Ceux qui ont été toujours là quand nous n'avions rien, quand nous n'étions rien, si nous les oublions, peu importe ce que nous sommes aujourd'hui, ce que nous avons actuellement, nous pouvons tout simplement mourir de honte. Regarder en arrière peut permettre de mieux voir, penser à ceux qui comptent pour nous peut nous donner des ailes.
Je deviens vraiment accro aux mots de mon ami Mayoro.

Depuis son retour, Tata Chimène reste enfermée dans sa chambre. Cet enfermement me paraît mystérieux. Je veux savoir la raison. Merde à Tonton Birima qui discute avec lui dans leur chambre en ce moment. Je veux savoir le sujet de leur discussion.
— Je t'avais dit, il y a plus de vingt ans, que j'allais faire ce que je veux. Tu n'es pas une bonne femme ni une bonne maman pour me donner des conseils. Tu veux savoir si j'ai couché avec Mbayang. Oui et à maintes reprises.
— Tu devais être franc avec moi depuis le début de cette histoire au lieu de me mentir. Tu n'es qu'un salaud, un pervers sexuel.
— De quelle franchise me parles-tu sale prostituée et cougar ? Aurais-tu oublié ce que tu m'as fait ? Je vais te le rappeler. Cinq ans après la naissance de Yamar, je suis tombé malade, j'ai souffert d'insuffisance sexuelle. Qu'est-ce que tu as fait au lieu d'être à mes côtés en tant qu'épouse ? Tu es sortie te pavaner avec d'autres hommes. Je me rappelle encore du jour où j'ai su que tu m'as trompé avec cet imbécile. Tu es tombée enceinte tout en étant ma femme. Nabou et Astou, tes deux jumelles, je dois te rappeler qu'elles ne sont pas mes filles biologiques. On a qu'un seul enfant et c'est Yamar. Ce cocufiage, pour rien au monde, je ne l'oublierai. Tu croyais que ma maladie allait être éternelle. Malgré tout cet irrespect, j'ai aimé tes enfants adultérines, tes bâtardes. Tu as voulu me convoquer dans ce jeu de revanches continuelles. Que ce jeu continue alors.

Revanche ou revanches (bis) ?

À suivre...

REVANCHEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant