Revanche ou folie extrême ?

249 28 0
                                    

Tata Chimène suit sa fille. Elle la colle aux basques. Quand Nabou est sortie des toilettes, Tata Chimène s'est empressée de lui demander.
— Qu'est-ce que tu as ma fille ?
La maman lui pose la question d'un geste laconique. Elle semble suspecter, on dirait bien, quelque chose.
— C'est juste une migraine passagère maman. T'as pas à t'inquiéter, je n'ai rien.
Nabou dédramatise son état, ce n'est rien à ses yeux.
— C'est la première fois que tu fasses ce genre de malaise ou bien ?
Tata Chimène s'entête de laisser sa fille et d'avaler, comme elle l'a dit, son récit de migraine passagère. Une idée est en train, peut-être, de la tourmenter.
— C'est juste la troisième fois maman. Encore une fois, je te dis que ce n'est pas grave. Ça doit juste être des crises de fatigue liées notamment à la mort de ma jumelle. Depuis son décès, je n'arrive pas à dormir. Je dois me reposer.
Nabou fixe son regard sur sa mère. Un moment de silence apparaît et la mère scrute avec vigilance le corps de sa fille. Dans le langage sanitaire, on aurait dit que Tata Chimène diagnostique Nabou avec précaution. Elle connait certainement des choses que sa fille ne peut pas connaître. La maturité et l'expérience ne sont pas les chasses gardées des jeunes. À travers un regard minutieux, les adultes sont capables d'interpréter les moindres faits et gestes des enfants. Inutile pour un adulte de monter dans un arbre pour voir ce qui s'y cache et même si un enfant sait mieux grimper que lui, rien ne lui garantira de voir mieux que cet adulte. C'est une chance qu'a la jeunesse africaine, il y a une place prépondérante que jouent les vieillards dans l'éducation et la formation des jeunes en Afrique. La jeunesse africaine n'est pas comme celle européenne. Les cascades de la modernité ont certes causé des changements comportementaux mais aussi longtemps que les vieillards africains joueront leur rôle d'avant-gardistes, cette déchéance morale singée par les nouvelles générations, d'on ne sait où, n'aura pas son poids. C'est un travail de longue haleine, il faut que nous revenions à la source originelle, il faut que nous donnions aux jeunes africains les pleins moyens de croire encore en leur auto-épanouissement. Les jeunes auront beau se mesurer aux adultes qu'ils resteront malgré leurs nombreuses tentatives des œufs en face à de solides pierres. Le développement n'est rien d'autre qu'une question de comportement. Le comportement n'est pas une qualité qu'on vole, il est enfoui dans les profondeurs de l'âme de la personne, il faut juste savoir le réveiller au bon moment. Ce ne sont pas les Coréens qui me feront mentir car l'histoire a montré que dans un passé récent, notre pays classé parmi les vingt-cinq pays les plus pauvres au monde aujourd'hui, convoyait des vivres chez eux pour leur venir en aide. Au moment où mon récit repense à l'histoire, rien ne présage que demain, la situation reviendra à la normale. C'est une parenthèse.
— As-tu un copain ?
Dans la tête de Tata Chimène se recroquevillent des idées plus sérieuses qu'on ne le pense. Elle n'est pas satisfaite des explications emboucanées par sa fille. Elle veut tout savoir là et maintenant. Tata Chimène oublie à ce qu'il paraît qu'elle est toujours au tribunal et que l'assassin de sa fille vient d'être condamné.
— Pourquoi toutes ces questions maman ? Comment peux-tu me demander si j'ai un copain ? Nous ne somme pas de la même génération. J'ai un copain. Tu dois d'ailleurs le savoir. Une fille de mon âge qui n'a pas de copain est très rare à voir. Et puis, ce n'est ni le lieu ni le moment pour me poser tes questions incalculables. On pleure toujours la mort d'Astou.
Une échappatoire se présente toujours pour fuir les débats, on ne peut plus, contraignants. La mort d'Astou en est une et Nabou n'a pas pu ne pas y penser.

Je converse avec Maître Isidore quand sont revenues Tata Chimène et sa fille. Je dis à mon avocat que je ne veux pas parler avec elles. Je me retourne pour épouser l'autre couloir et mon nom se fait crier par Tata Chimène. Je m'arrête attendant Tata Chimène me révolvériser avec ses boutades.
— Je peux comprendre ta colère. Je peux accepter que tu sois fâché contre moi et ma fille. Nous t'avons fait endurer trop de choses insupportables. Je suis d'accord. Nous avons merdé et nous reconnaissons notre faute. Nous te demandons pardon.
Rien ne me donne plus de joie que d'entendre la voix de Tata Chimène exprimant sa douleur et sa défaite. Je me mets en face d'elle, j'ouvre mes bras et je la câline fort. Je l'entends pleurer dans mes oreilles. Je ne pense pas à elle en ce moment. Je pense uniquement à ma maman, à ce qu'elle doit ressentir le jour où elle se défoulera devant Tata Chimène et Tonton Birima. Ce jour sera l'apothéose d'un combat lancé depuis quelques années et qui aura fait couler beaucoup d'encre. Vous ne pouvez même pas imaginer combien je rêve de ce jour de gloire de ma mère. Mon instinct me rétorque que le combat est bientôt terminé et que des signes positifs ne cessent de se présenter, l'un d'eux est l'incarcération au moment le moins attendu de Galaye. Il me faut juste redoubler d'efforts et faire tout pour que de pareilles erreurs ne se reproduisent à l'avenir.
— Je n'ai rien contre toi et ta famille, Tata Chimène. C'est juste une erreur de jugement. J'en fais, tu en fais, tout le monde en fait. Donc, j'aurais bien aimé que tu arrêtes de pleurer. Mon cœur est béat. Je suis content que la mort de « ma sœur » Astou ne soit pas restée impunie.
C'est un mensonge, une fois de plus, pour avoir la confiance entière de Tata Chimène. Je ne peux pas aller en guerre ouvertement avec elle. C'est trop risqué. Nabou aussi est submergée par les remontrances. Cette affliction qui perle de son visage me suffit pour ne pas me défouler sur elle. Rendez-vous est pris pour que l'arbitre siffle le coup de sifflet final de ce match. Rendez-vous est pris pour que je ferme ce chapitre douloureux de ma vie. Rendez-vous est pris pour que mon obsession s'arrête pour de bon.

REVANCHEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant