Je suis sans mot

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Je ne suis pas la première personne à poser cette question. Je ne serai pas aussi la dernière personne à le faire. La substance toxique pèse lourde dans ma main. Il y a deux voix qui entrent en contact dans mes pensées. La première me dit de ne pas suivre maman car cet enfant n'a pas demandé à naître, il n'est pas responsable de mes erreurs ni celles de Nabou. La seconde m'appelle à un déterminisme doublé d'une prise de responsabilité, le coup est déjà passé et ce fœtus fait partie de moi, le tuer serait synonyme d'un désengagement total, un manque de courage que la vie ne me pardonnerait jamais. Si maman avait donné corps et âme à la première option, serais-je là aujourd'hui ? Je n'en crois pas. C'est parce que maman a décidé de prendre, à bras le corps, ses problèmes que je suis venu au monde. Ceci dit, je dois faire de même car rien ne m'empêchera de prendre ma revanche. Que cet enfant naisse ou pas, je vais combler les désirs de maman. Je ne ressasse plus. J'y vais avec détermination. Cet enfant, mon enfant, verra le jour. Il symbolisera la flamme guerrière et la volonté de puissance qui sommeillent en moi à l'aune d'une lutte âpre et acharnée qui m'aura contraint à défier toutes les lois de la logique, toute logique jusqu'ici mise au panthéon des réactions humaines. Je veux que mon nom reste dans l'histoire, pour ce faire, il faut que le sang qui coule dans mes veines ne cesse jamais de couler. Un descendant de moi c'est un triomphe éternel. Je prends le produit toxique et je le déverse dans le lavabo. L'eau l'a amené, je pense croire, à la mer. Je tends la casserole contenant la bouillie de mil à Nabou. En toute énergie, elle mange, laissant apparaître adroitement son sourire.

Je ne sais pas ce que ferait Tonton Birima s'il savait que j'ai couché avec sa femme. Beaucoup de choses montrent que ma vengance envers lui restera dans les annales de la méchanceté. Le Guinness des records doit penser mettre en œuvre une nouvelle thématique réservée aux hommes les plus dangereux, mesquins, et méchants de l'histoire. La vengance est un plat chaud ou froid qui se mange chaud ou froid. Je ne sais plus la bonne formule ; ce que je sais, c'est que tiède, chaud ou froid, je cuisinerai ce plat et je le dégusterai seul. Je veux mettre sur pied une stratégie d'une unicité extraordinaire. Je veux que le jour de toutes les vérités soit pour la famille Chimène la fin d'une vie qui lui aura fait rêver mais des rêves pommadés de piment et de sel, des rêves utopiques. Qu'est-ce que je vais faire de Nabou ? Rien ! Lorsque tout sera terminé et que mon enfant me rejoindra dans ce monde, je me ferai une putain de luxe de le récupérer et d'aller loin avec lui. La vie de soldat, de barbare, d'enfant épanoui qu'il mérite, je ne pourrai pas la lui garantir dans ce confusément total. Pêle-mêle, tout occasionnerait une chute aux abysses, une descente aux enfers. Je prends rendez-vous avec l'histoire. Je me mets dans la peau de Tonton Birima qui se prosternera en face de maman et de moi pour nous demander pardon.

J'ai appris dix jours plus tard que la maman de Hermione est très malade. C'est Étienne qui me l'a dit au téléphone. Je ne sais pas de quelle maladie elle souffre. La vie de Tata Joséphine doit être un éternel recommencement, une suite de désillusions, des chimères continues. Quand je la vois, c'est comme si je suis en face de ma mère. Elles partagent beaucoup de qualités ; elles marchent de la même façon, gesticulent identiquement, gardent leurs émotions de la même manière. Elles se ressemblent également. La seule chose qui différencie ces deux personnes victimes des folies de Tonton Birima est leur courage. Je peux dire que ma maman est plus courageuse. Elle est plus à même de se manifester et de faire face à l'adversité. Tata Joséphine est plus vénérable. Elle est plus affaiblie pas les douleurs. Si vous voyez ma maman, vous vous dites inévitablement qu'elle n'a rien, qu'elle garde sa joie de vivre. J'arrive chez Tata Joséphine et je trouve Hermione à ses côtés.
— Comment elle va ?
— Très fatiguée, elle ne peut même pas parler.
— Tu l'a amenée à l'hôpital ?
— Oui et le médecin m'a dit que ça va aller.
— Dans ce cas, on n'a pas à s'inquiéter ; maman aura du mieux.
Je prends l'éventail des mains de Hermione et je donne des bouées d'air à sa mère. Je suis heureux d'être à ses côtés. J'aime beaucoup Tata Joséphine.
Hermione me fait signe de la main pour que je vienne ; elle a prétendument des choses importantes à me dire. On se met à parler dehors, sous l'ombrage du grand manguier.
— Je pense que maman me cache quelque chose, me dit Hermione.
Bien-sûr qu'elle te cache l'identité de ton véritable père. Je ne sais rien d'autre.
— Tata Joséphine ? Non elle n'est pas du genre à te cacher quelque chose ; et si elle te cache des choses, c'est peut-être pour te protéger.
Je veux calmer les ardeurs. Je ne veux pas que Hermione dise du mal de sa mère. Son silence et son mensonge ne sont pas suffisants pour douter de l'intégrité et de l'honnêteté de sa personne.
— Me protéger ? Me protéger contre quoi ? fulmine de plus belle Hermione.
— Je ne sais pas ; c'est juste une idée ; rien d'autre.

REVANCHEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant