C'est lui le responsable

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Tout le monde s'est retourné sauf moi pour voir cette personne qui vient d'arriver. Sa voix ne m'est pas familière et je cherche à rester dans ma position.
— Vous croyez que vous êtes au marché ou bien ?
— Je suis désolé Votre Honneur mais il faut que je parle. Je sais que le procès est dans sa phase terminale mais je veux vous aider à rétablir la vérité.
À ce mot « vérité », je me retourne pour voir la personne en question. Je la reconnais enfin. Toutefois, sa venue, à cet instant précis, me chamboule beaucoup. C'est la dernière personne que j'attendais dans ce procès pour édifier cette énigme plus que jamais floue. Certes cette personne devait être l'une des premières à venir dans l'enceinte du Tribunal, mais je me demande bien sûr où pouvait-elle bien être depuis la mort d'Astou. Une question de bon sens ne pouvant être louvoyée, je sens une crispation dans la salle. Chacun essaie sûrement de savoir ce que cette personne a de si important à dire pour que la vérité soit connue de tous. Le Juge demande au Procureur s'il voit un problème à son témoignage.
— Nous sommes tous là pour que la vérité soit établie. Si cette personne, comme elle l'a dit, possède des informations qui peuvent nous aider à savoir ce qui s'est réellement passé la nuit de l'assassinat de Mademoiselle Astou Chimène, je n'y vois pas de problème. Votre Honneur, je vous saurais gré d'appeler cette personne à la barre.
Le Président du Tribunal demande à cette personne de rejoindre le box des témoins. Elle s'avance et rejoint le box des témoins, le visage luisant, de sueur. Le Président du Tribunal a averti la personne qui, sous peu, va apporter des éclaircissements. Il lui dit qu'elle n'a d'autre choix que de dire la vérité, toute la vérité et rien d'autre que la vérité. Tout mensonge de sa part ne restera pas impuni. La détermination qui perle du visage de la personne me donne des sueurs froides. Elle est déterminée à parler.
— Qui êtes-vous ? lui demande le Juge.
— À l'état civil Galaye Mbengue, j'ai vingt-deux ans. J'habite à Keur Serigne Louga Est. Je suis le petit ami de la défunte. Si vous me le permettez bien, je vais vous éclairer les zones d'ombres de ce problème.
Galaye jaillit de nulle part pour s'inviter au procès. Mon cœur bat la chamade rien qu'en écoutant cette amorce de Galaye. Je ne sais pas ce qu'il a à dire mais mon instinct me dit que son témoignage aura l'effet d'une bombe. Astou a été sa petite amie ; certainement, elle a eu à lui donner le nom d'une personne qui lui voulait du mal. Les amoureux se disent tout d'habitude. Donc, il y a une personne qui, pendant tout ce temps, menaçait la défunte Astou. Je n'entends plus rien dans la salle. Les mouches deviennent des spectatrices. Ce qui va suivre sera épisodique. Et au Président du Tribunal de reprendre la parole.
— Monsieur Mbengue, qu'avez-vous à nous dire ? Vous avez la parole ; nous vous écoutons.
— D'abord, je dois vous avouer que Monsieur Mama Goumbale dit Boulaye Sène, ici présent, n'est pas le meurtrier d'Astou.
N'essayez pas de comprendre ma joie. Moi-même, je n'arrive pas à la qualifier. Je suis plus préoccupé par ce que va renchérir Galaye.
— La nuit du décès d'Astou, je suis venu tardivement la voir. Je suis tombé sur une discussion assez mouvementé et électrique entre Astou et Boulaye. Quand Boulaye est sorti dans la chambre d'Astou, j'ai voulu savoir ce qui se passait entre eux. Astou ne m'a pas répondu en toute franchise ; je suis devenu très irrité car Astou m'a répondu d'un ton très indiscipliné. Fâché, je suis sorti et je me suis retrouvé dans la cuisine. C'est là où j'ai pris le couteau. De retour dans la chambre d'Astou, je n'ai pas hésité à la poignarder au ventre. Je suis l'auteur de cet assassinat. Et je suis là pour que justice soit rendue.
L'excitation de tout un chacun est au summum de la réalité. C'est un véritable sujet de fait divers auquel Boulaye nous invite. Les supputations résonnent de tous bords. On peut voir chacun parler avec la personne qui est à ses côtés. Je suis heureux mais pas comblé par le récit de Galaye. Toujours mon instinct me dit qu'il y a des choses qui clochent. Le Président du Tribunal prend son maillet pour imposer sa loi. Le maillet est un outil ressemblant à un marteau à deux têtes, en bois ou en plastique. Il est utilisé par exemple en menuiserie pour le travail au ciseau ou par les campeurs pour planter des sardines dans le sol. Plus simplement, le maillet n'est rien d'autre que le marteau du Juge.
— Silence dans la salle ! La fameuse expression est répétée plusieurs fois avant que le calme ne revienne dans la salle. Le Président du Tribunal exige le plus strict silence avant qu'il ne décide de continuer la présente séance à huis clos. Tout le monde se tait. Tout le monde a envie d'écouter la suite de l'histoire.
— Monsieur Mbengue, vous voulez dire que vous vous auto-déclarez coupable des faits qui sont reprochés à Monsieur Goumbale ?
— Votre Honneur, comme je vous l'ai dit, cet homme n'en est pour rien. Sa seule faute a été d'être dans la chambre d'Astou. C'est moi le seul et unique responsable de la mort d'Astou.
Le Juge demande au Procureur s'il a des questions à poser au témoin, le véritable coupable.
— Oui votre Honneur ! Je veux bien savoir, Monsieur Mbengue, si vous avez réellement aimé la défunte ? Avez-vous commis ce délit pas pure jalousie ?
Je dis bravo au Procureur. C'est la question centrale qui mérite d'être posée. Ma seule discussion avec Astou est trop élémentaire à mes yeux pour que Galaye se sente autant vexé et par ricochet tuer son « amour ». L'aspect sentimental est à revoir.
— Monsieur Le Procureur, je suis là pour dire la vérité car rien ne compte plus pour moi. À vrai dire, je n'ai jamais aimé Astou. Je n'ai jamais été amoureux d'une fille. Jamais, je ne pourrais aimer une personne appartenant à la famille de Monsieur Birima Chimène. Cette famille est la responsable de tout ce qui m'est arrivée. Galaye tourne son visage et regarde Tonton Birima. Heureusement, qu'il y a quelques mètres entre les deux, sinon je ne sais pas comment Galaye allait riposter. 
Ça devient intéressant. À entendre parler Galaye, j'ai l'intime conviction que c'est un sentiment de REVANCHE qui a causé son effervescence et son irritation. Il a aussi été victime d'un désagrément causé par Tonton Birima. Je me livre, comme un citoyen d'Athènes hellénistique présent à l'Agora, à cet échange de questions et de réponses. Les questions sont très précises et les réponses sont toutes élastiques. Au Procureur de continuer sur la même lancée.
— Auriez-vous fait tout celà, toute cette mascarade, pour combler un vide ? Auriez-vous un sentiment revanchard envers Monsieur Chimène et sa famille ?
Sacré Procureur, il est vraiment excellent cet homme. À sa place, j'aurais posé les mêmes questions.
— Oui, je me suis intéressé à Astou pour avoir la peau de Monsieur Chimène et celle de son fils Yamar. Ils m'ont fait quelque chose que je ne leur pardonnerais jamais. Astou a été l'agnelle du sacrifice. Depuis des semaines, je cherchais un moyen de prendre ma revanche. Un jour j'étais assis à côté de la mer. J'attendais ma sœur. Astou révisait ses leçons à côté. Une personne qui s'adonnait à la consommation outrancière de boissons alcoolisées, un ivrogne si vous voulez, était passé par là, il voulait la déranger. Voyant la scène, je m'étais levé pour protéger Astou. Après, nous étions restés là à échanger, histoire de mieux nous connaître, en quelque sorte nous nous sympathisions. À son départ, ma sœur était revenue. Elle avait vu ma conversation avec Astou mais avait préféré ne pas venir.
— Que faisais-tu avec cette fille ? voulait savoir ma sœur.
Je lui avais expliqué ce qui venait de se passer. Étonnée, elle m'avait fait comprendre que cette fille était Astou, la fille de Tonton Birima et la petite sœur de Yamar. Je n'en revenais pas car je ne m'attendais pas à retrouver comme-ça la fille et la petite sœur de mes ennemis. J'avais là une opportunité grandissime pour prendre ma revanche. J'avais fait la cour à Astou jusqu'à ce qu'elle tombât amoureuse de moi.
Quelle explication sommes-nous en train d'avoir ? Je suis excité par l'explication excellemment bien développée et détaillée par Galaye. Mais oui, ça reste toujours. Il faut que les choses soient claires et précises.
— Qu'est-ce que cette famille vous a faits toi et ta sœur à tel point que vous désiriez prendre votre vengance ?
J'applaudis sans bouger mes mains le Procureur. Il faut une bonne assise intellectuelle et une expérience bien raffinée pour poser ce genre de question. J'aime bien la pédagogie du Procureur. Chaque question vient au moment opportun. Chaque question est la suite logique de celle qui l'a précédée.
— Beaucoup de choses mais pour respecter la mémoire de ma sœur, je ne vais pas les dénoncer. En tout cas, je jure que le degré d'animalité de ces deux personnes dépasse tout entendement. Ils sont sales.
— Est-ce à dire alors que votre sœur est décédée ?
— Oui Monsieur le Procureur, l'amertume a consumé sa vie et a eu raison d'elle. Elle est morte d'un arrêt cardiaque. Elle est la seule personne qui me restait.
— Vos accusations sont lourdes et vous devez nous dire ce que vous reprochez à ces deux personnes ?
— Je leur reproche une avarice en bonnes actions sans précédent,  une ladrerie sordide en belles qualités, une lésinerie confirmée à faire le bien, une parcimonie ouverte de vivre comme des animaux, une avidité sans commune mesure, une rapacité vulgaire dans tous leurs actes, une convoitise saugrenue à l'endroit des personnes vulnérables, une envie démesurée de faire mal aux innocents, une appétence à singer les mauvaises personnes, une concupiscence d'être là rien que pour leurs propres intérêts, une ambition de prôner aisément le mal, un désir lâche de s'en prendre aux femmes sans défense, une âpreté de vivre dans le mensonge, une vénalité inouïe de ne penser qu'à leur propre personne, bref je leur reproche d'êtres tous les deux cupides.
Labissinnaaaaa ! Feureureuw ! Quelle audace dégage Galaye ! Pourtant, je l'avais qualifié de mauviette. Il nous cachait, depuis tout ce temps, sa vraie personnalité. J'aime une telle attitude ; attendre le bon moment pour tout dire. Tonton Birima se sent dépassé par les insultes de ce jeune homme. Yamar est dans l'expectative de voir cet homme qui lui dit autant de mauvaises choses être puni. Heureusement qu'au tribunal, riches et pauvres ont les mêmes droits. Lui et son père n'ont rien à imposer ici. Ils doivent respecter les ordres des magistrats.Tata Chimène est également dépassée par l'issue de ce procès. Nabou ne peut rien d'autre que d'écouter qu'on manque de respect à sa famille. Ces dangers publics ont mérité que le calame soit le livret de leurs mauvais actes. Le Procureur n'a pas terminé avec ses redoutables questions.
— Comment s'appelle votre sœur ?
— Mbayang Mbengue, c'est l'ancienne gouvernante de la maison de Monsieur Chimène. On pouvait porter plainte contre eux mais nous avons décidé de tout remettre entre les mains de Dieu. Un jour, ils paieront lourdement.
Je suis à terre. Donc Galaye est le frère de Mbayang. Tout est imbriqué à la fin. Je suis le seul dans cette audience qui comprend ce que Galaye tente d'expliquer. Il a pris sa REVANCHE car sa fille a été maintes fois violée par ces deux crapauds. Mbayang ne devait pas mourir. On avait là un moyen de bombarder cette famille. Elle pouvait pourtant me mettre en rapport avec son frère pour que nous puissions attaquer ensemble cette famille.
Le rififi est total dans la salle. Tata Chimène veut savoir ce que son mari et son fils ont fait à Mbayang. Je doute fort qu'elle le sache.
Ce procès a tiré en longueur. Je suis content d'avoir été innocenté. J'ai une autre victoire sur cette famille. Elle n'ose même pas me regarder. À la sortie de la salle, je suis à côté de Maître Isidore. Hermione est venue me féliciter. Je vois de l'autre côté Tata Chimène et Nabou en train de parler. Tout est bien qui finit bien, c'est Galaye qui a été condamné à quinze ans de prison ferme. J'aurais bien aimé qu'il dise toute la vérité et qu'il dénonce Tonton Birima et Yamar. Je vois Tata Chimène et Nabou venir à côté de moi. Subitement, Nabou a des signes bizarres, là voilà en train de courir vers les toilettes, tenant sa bouche, elle semble vouloir vomir.
Revanche ou revanches ?

À suivre...

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