Une fille inattendue

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Je suis foutu. Je suis foutu. Je pense avoir dit ces trois mots cent fois. Je vais diminuer. Je pense avoir dit ces trois mots cinquante fois. Je vais diminuer. Je pense que j'ai dit ces trois mots plusieurs fois. Au plus profond de moi, j'ambitionne de compter le nombre de fois que j'ai dit ces trois mots. Je viens de me rendre compte que je n'ai pas fermé ma chambre.
— Je m'adresse à toi, qu'est-ce que tu fais avec nos photos ? rétorque-t-elle une centième fois, non une seconde fois.
Je dessine à l'aide du crayon que je tiens des schémas qui n'existent nulle part ailleurs que dans mon âme. Je crayonne des choses inexistantes. Je fais semblant d'être concentré sur un travail mental. Je fais état de mes talents de dessinateur. Je fais des bricolages. Je n'écris rien vraiment. Je ne fais aucun signe.
— Pour une dernière fois je te pose la question, qu'est-ce que tu fais avec nos photos ?
Nabou s'énerve comme une reine qui bat ses ailes pour montrer aux autres abeilles qui composent l'essaim la direction à suivre. C'est une mauvaise comparaison. Je fais tout cela car je ne sais pas encore quoi dire à Nabou.
Illico presto, je saute du lit pour me mettre en face d'elle. Le mensonge n'est important que quand il change les émotions dans un contexte particulier. L'arme du mensonge devient puissante quand on perd les mots et qu'on doit parler automatiquement.
— Tu as tout gâché, petite bavarde. Tu as gâché ma surprise. Je voulais faire une surprise à Tata Chimène. Je sais combien elle tient à sa famille. Je voulais lui faire des tableaux en me référant à vos photos.
Il faut être ingénieux pour garder son calme dans un moment comme celui-ci. J'espère juste que cette grosse geule va croire à mon explication.
— Si c'est le cas, rien n'a changé. Je suis la seule qui est au courant. Je saurais garder le secret. Affirme Nabou, elle est tombée dans le fond du puits. J'ai fait un constat. D'habitude les pigeons qui gazouillent partout réfléchissent moins.
— Qu'est-ce que tu vas faire pour moi aujourd'hui ?
Ça ne sert à rien de me le dire. La seule chose qui t'amène dans ma chambre, c'est la baise. N'existe-t-il pas d'autres hommes sur terre ? Qu'est-ce que j'ai de plus que les autres ? Je suis fatigué. Je ne peux pas m'empêcher de me lever pour lui donner son rançon. Je fais ce que je sais mieux faire : baiser. C'est ce talent que je montre jusque-là, j'ose le dire. Elle fait ce qu'elle sait mieux faire : encaisser. Si ma vengance se limitait uniquement au sexe, je peux dire que les choses auraient déjà changé. C'est juste que le sexe fait partie de la vie. La vie n'est-elle pas uniquement amour du sexe ? Dans nos sociétés ancrées dans une codification des valeurs transcendantales et cardinales, nous avons du mal à parler du sexe. Idéologie absurde. Le sexe ne doit pas être un sujet tabou. La tabouisation du sexe fait que les choses qui y sont attraites sont méconnues, elles deviennent en ce moment des thématiques qui exigent des suppléments de connaissances. La méconnaissance des sujets sexuels cause beaucoup de problèmes. L'éducation sexuelle à l'école n'est pas une mauvaise chose, il faut juste légiférer une réglementation qui la saupoudrerait. Je persiste et signe que la vie est dans son essence une apologie du sexe. Je suis d'accord avec Freud, le philosophe le plus voyou de l'histoire.

Hermione n'est plus revenue à la maison. Je veux savoir la raison. Il se peut qu'elle ait des problèmes avec Yamar. Son numéro de téléphone ne marche pas non plus. Je veux aller chez elle mais je ne sais pas par où commencer. Je ne peux pas demander son adresse aux membres de la famille car je ne veux pas qu'ils commencent à faire naître des soupçons. Cette Hermione représente beaucoup de choses dans ma tête. Depuis la première fois que je l'ai rencontrée, il ne se passe un jour sans que je ne pense à elle. Mon sixième sens me dicte quelque chose. Je ne donne pas trop de crédit à ce que me dicte ma conscience. Un tête-à-tête entre nous deux pour que je la connaisse mieux serait idéal.

Le cas de Mbayang est aussi un sujet délicat. Je suis allé la voir dans la cuisine mais elle ne veut pas discuter avec moi. Je veux être patient avec elle car à l'heure où je suis toute preuve qui peut m'aider est la bienvenue. J'ai essayé de faire éclore mes petites capacités d'enquêteur et ce à quoi me rattache son histoire, c'est soit du chantage, soit du forcing. Je ne la laisse pas des yeux. Je lui demande de me faire confiance. Elle refuse toujours de se confier en moi. Je me mets dans sa peau et je parviens à comprendre ce qu'elle ressent. Je continue de la demander ce qui se passe les jours suivants. C'est au dixième jour de ce mois qu'elle m'envoie un message pour me dire qu'elle a envie de me voir. Elle me donne rendez-vous ce soir dans sa chambre. Elle a changé d'avis après que je lui aie expliqué une petite partie de mon histoire. Je compte les heures. Je compte les minutes. Je vois avancer les secondes. Il est 02h 45, c'est l'heure du rancard. Je tape plusieurs fois à la porte de sa chambre mais personne ne répond. Je me suis rendu compte après que la porte n'est pas pas fermée. Mbayang n'est pas dans sa chambre. Elle a dévalisé son armoire. Seul un petit bout de papier est déposé sur la table. Il est écrit les mots suivants sur ce papier.
— J'espère juste que tu seras le premier à lire ce papier. Je prie pour que Tonton Birima et Yamar ne te devancent pas dans ma chambre. Je suis navrée de te le dire ainsi, mais pour ma vie, je dois quitter cette maison pour de bon. Ciao et bonne chance.
Je vomis ma colère. Je donne deux coups au mur. Je suis maudit car plus j'ai une piste plus elle disparaît. Mbayang ne doit pas me faire ça. Je comptais beaucoup sur elle. Le problème est finalement plus complexe que je ne le pensais. Le départ de Mbayang rend vides toutes les cases de l'échiquier. J'ai compté sur Marody, il est mort. L'enquête suit toujours son cours. On ne sait pas si le chauffeur du camion vit toujours. Les enquêteurs de la Division des Investigations Criminelles sont à ses trousses. Que nenni ! Ils n'ont pas vu une trace de sa silhouette. J'ai compté sur Mbayang, elle est partie je ne sais pas où. Le matin venu, elle a appelé Tata Chimène pour lui dire qu'elle est partie pour convenances personnelles. Les nombreuses tentatives menées par la patronne de la maison n'ont rien donné. La décision de Mbayang est définitive.  Quelle idiote cette Tata Chimène ? Elle souhaite que sa rivale, la femme avec qui elle partage son mari, revienne. C'est comme donner un couteau à son pire ennemi. Elle veut être poignardée et conduite au cimetière.

Le seul qui a des problèmes ici c'est moi. Je dois urgemment rencontrer Hermione. Mais où ? J'oublie automatiquement cette idée. J'entre dans la chambre de Tata Chimène pour voir si je peux trouver quelque chose pouvant m'aider. Je ne trouve rien. Je prends la télécommande et je commence à zapper. Sortie de la salle de bain, elle me demande ce que je fais dans sa chambre. Je lui réponds que j'avais envie de la voir. Ses conseils de mère me manquent. Elle est contente d'entendre ça. Inutile de vous dire qu'il n'y a personne dans la maison. Les jumelles sont parties à l'université. Elles étudient dans une université privée de la place. Yamar et son père sont allés au boulot. Tata Chimène me demande de l'accompagner dans leur seconde maison. Elle me donne les clés de sa voiture. Je sais conduire depuis quelques temps. Sur la route qui mène à Saly, on parle de tout et de rien. Louga et Saly sont un peu éloignées. En cours de route, Tata Chimène appelle son mari pour lui faire part du voyage. Elle a des trucs à récupérer à ce qu'il paraît.

Arrivés dans la maison, elle me demande de l'attendre. Elle monte. Je visite les autres coins de la maison le temps qu'elle termine. Mon téléphone sonne. C'est Tata Chimène. Je décroche et elle me demande de monter et de la rejoindre dans la chambre. Je suis un peu troublé car je ne sais pas ce qu'elle me veut. Je suis accueilli dans la chambre par l'accoutrement diablement coquin de Tata Chimène. Je ne peux pas décrire tout mais elle est vêtue d'une nuisette très sexy. Je deviens sourd, muet, et handicapé. Je la regarde tout simplement. Elle me dit à l'oreille qu'elle a envie de moi. Je lui dis que c'est dangereux. Elle rouspète et me force à ne pas penser à ce qui va se passer. Je m'interroge sur mon objectif qui reste ma vengance. Faire l'amour à la mère et à ses deux filles, c'est une forme de vengeance. Je ne cherche pas à perdre trop de temps. Je fais l'amour à Tata Chimène. Elle ne connait rien de la douceur. En bonne cougar, elle me donne une cravache pour que je la fouette. Douko défati ? Dama niaff ndayam ba mouy youkhou ? Elle n'a jamais été baisée par un homme comme moi. Ça va lui servir de leçon. Elle veut savoir si j'ai bien aimé. Je lui réponds langoureusement et amoureusement à l'oreille que je suis hyper content. Elle n'oubliera pas de sitôt cette escapade. Les jeunes comme moi ne s'entraînent pas pour seulement prendre de la forme. Nous sommes également là pour s'occuper des cougars comme Tata Chimène. Leurs maris ne remplissent plus toutes les conditions. Elles aiment nous appeler gigolos. Allez à Saly ou dans certains quartiers chics de Dakar, vous verrez que j'ai entièrement raison.

Aujourd'hui, nous avons de la visite. Astou nous présente son petit ami. Galaye est un jeune qui a le même âge que lui. Il me donne l'air d'une mauviette. Un homme doit être viril quand il parle. Galaye est bien apprécié par la famille. Astou n'a pas le courage de me regarder. J'espère sincèrement qu'elle va être fidèle à son amoureux et me laisser tout tranquillement. Après le départ de Galaye, je la croise à côté du garage, je lui lance quelques piques.
— Comme ça tu as un petit ami. C'est une bonne chose. Bonne chance et bonne concentration pour cette vie nouvelle qui t'attend. N'oublie pas que tu dois être fidèle à ton partenaire. Conseil d'ami.
Je lui tapote les joues et elle laisse échapper un léger sourire. Il ne reste que sa jumelle. Impossible qu'un homme l'aime. Astou a beau être une fille avec des fantasmes, elle est quand-même attentive. Tout le contraire d'une fille comme Nabou qui est toujours aux aguets.

Je n'aime pas qu'on écoute mes discussions, qu'on se mêle de mes affaires. Cependant, j'aime m'intéresser à ce qui ne me concerne pas, à la vie d'autrui, aux problèmes des autres. Tonton Birima a l'habitude de parler au téléphone sans que personne ne sache avec qui il communique. Je suis cinglé de dire des propos aussi kafkaïens, ça c'est vrai. Est-ce que vous vous rappelez de la nuit où son téléphone a sonné ? C'est cette nuit où je m'étais caché dans la salle de bain. Il y a un soi-disant ministre qui l'appelait. Du moins, c'est ce qui était écrit sur le contact. Aujourd'hui, ce même numéro a appelé. Je suis dans le salon avec Tonton Birima. C'est moi qui fais le thé pour lui. Il est parti après qu'il ait été appelé par un voisin. Il a oublié son portable qui est branché sur la prise. Le numéro appelle à trois reprises sans que je ne réponde. Au quatrième appel, je décroche et je tombe sur une voix féminine.
— Quand est-ce que tu vas enfin faire ton devoir de papa pour voir ta fille et lui dire la vérité ? C'est honteux pour une personnalité comme toi d'avoir une fille qui aura bientôt vingt-trois ans et qui n'assume toujours pas ses responsabilité. Je lui ai assez mentie, elle doit savoir que tu es son père. Je viens de perdre mon fils et je ne veux pas perdre ma fille.

À suivre...

REVANCHEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant