toi et toi seul

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"Je me dis aussi que je suis vraiment une salope pour faire ma première fois à mon âge, avec plusieurs personnes et des inconnus."

Il est presque 8h, la lumière naturelle prend de plus en plus la pièce, remplaçant de gris les lumières orangées des lampes du bureau. Mikey renifle et il se demande si un jour le flot de ses larmes va se calmer, si il va finir par vider son stock. Il essuie, une fois encore, son visage avec la serviette et il lève les yeux vers la thérapeute lorsqu'elle note quelque chose sur son carnet, que le roulement de la bille de son stylo produit un son apaisant. Il passe ses mains dans ses cheveux, alors qu'elle prend la parole en levant la tête vers lui, plongeant ses yeux dans les siens :

"Manjiro. Tu te souviens lorsqu'on a parlé de la culpabilité inhérente aux agressions sexuelles ?

Oui, oui, mais je.. C'est pas pareil.

Si, ça l'est. Le cerveau humain a besoin de donner du sens à ce qu'il se passe et, lorsqu'un acte traumatisant survient auquel on ne trouve pas de raison, le cerveau en invente. Beaucoup de victimes d'incestes considèrent les agressions comme une preuve d'amour, parce que ça donne du sens à la violence. Te considérer comme le coupable et trouver toutes les raisons du monde pour te détester par rapport à tout ça, c'est une façon pour ton cerveau de cadrer et contrôler ce qu'il s'est passé."


Le jeune homme garde ses yeux plongés dans les siens et, encore une fois, il cherche dans son regard de la légitimité, une once de signe de mensonge, qu'elle ne dit ça que pour le rassurer, pour qu'il se sente mieux. Mais rien. Il détourne le regard, récupère sa tasse presque vide, la fait tourner entre ses doigts et il peine à déglutir, avant de finalement souffler :

"Mais je.. Je sais pas. Et puis, dans les faits c'est la même chose. J'étais persuadé que.. Enfin, que ma première fois serait belle et douce et que ce serait un moment très tendre. J'avais prévu dans ma tête quelles lumières j'allumerais dans ma chambre pour le faire, quelles musiques, ce que je dirais, pour que tout soit beau. Et au final j'ai juste.. Baisé dans un putain de terrain de vague et j-

Tu as été violé.

C'est la même chose.

Non, ça ne l'est pas. Tu n'es pas obligé de considérer ce qu'il s'est passé comme ta première fois.

C'est-"


Une fine douleur prend son ventre et sa faim retentit dans la pièce. Il pose sa main sur son estomac, grimace finement, essaye de reprendre la parole, coupé par la femme en face de lui :

"Quand est-ce que tu as mangé la dernière fois ?"

Mikey reste silencieux quelques secondes, qui en deviennent des dizaines, alors qu'il retire ses chaussures, s'enfonce dans le canapé et ramène ses jambes à sa poitrine, gardant le plaid autour de ses épaules. Il hausse les épaules, posant ses yeux sur la fenêtre et la rue qui commence à s'animer, avant de murmurer :

"Je ne sais pas.

Tu n'as plus d'appétit ?

Si."


Elle le regarde, hoche lentement la tête et Mikey garde le silence de nouveau. Elle n'insiste pas, elle sait qu'il cherche ses mots, qu'il cherche comment le formuler, qu'il cherche le courage de risquer d'être ridicule.

"Si, c'est juste.. Je sais pas si c'est con, je sais pas si ça a du sens mais je me dis que.. Peut-être que si je change physiquement, on ne me fera plus de mal. Peut-être que si je suis assez maigre, on ne me violera plus. Peut-être que si je disparais, je serai intouchable."

dégénérescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant