s'excuser

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"Alors, comment ça s'est passé ?

- Bien.

- Bien ?

- Très bien. J'ai.. Enfin, ça a été compliqué au début. Pas au tout tout début parce que j'avais hâte de leur montrer Coquelicot. On est rentré chez moi et.. Les premières minutes, le premier quart d'heure, la première demi-heure, ça a été compliqué. Ca a été compliqué parce que.. Parce que j'avais peur de trouver des reproches dans leurs yeux. J'avais peur de trouver de la colère, de la haine, de la violence. Et il m'a fallu du temps pour me rendre compte que je n'avais pas.. Pas besoin de m'inquiéter. Ils se sont concentrés sur le chat au début et je me disais qu'à l'instant où ils relèveraient leurs yeux vers moi, j'y trouverais du mauvais. Mais ce n'est pas arrivé. Ce n'est pas arrivé, ils ont demandé ce qu'il y avait à boire et je ne savais pas trop quoi répondre. Alors Draken a pris la parole et il s'est occupé de tenir la conversation. J'avais du mal à suivre, parce que.. j'avais l'impression que toutes mes émotions étaient beaucoup plus fortes, beaucoup plus.. Intenses. J'étais un peu en hypervigilance, à regarder, à observer. Et ils n'ont rien dit. Ils me regardaient, parfois, et je me disais qu'ils avaient sûrement dû me poser une question. Mais je ne l'avais pas entendue. Alors je haussais les épaules, pour rester neutre. Puis le temps est passé et je me suis détendu. J'ai commencé à parler, de tout et de rien. Puis j'ai commencé à entrer dans la discussion, puis à en lancer une. Il m'a fallu peut-être deux ou trois heures pour être complètement à l'aise, mais ça s'est fait.

- Comment tu t'es senti ?

- Comme si rien n'avait changé. Je vous ai parlé de ma peur qu'ils m'en veuillent mais j'avais aussi peur qu'ils me prennent en pitié. Qu'ils me parlent lentement, doucement, qu'ils n'osent rien dire. Qu'ils soient gênés, qu'ils m'ignorent. Mais rien de tout ça n'est arrivé. Je me suis senti.. Comme avant, comme si rien n'avait changé.

- C'est à dire ?

- Comme si.. Comme si j'avais vraiment de l'importance pour eux. Comme si j'existais. Comme si j'étais réel. Et c'est con de dire ça comme ça mais.. Enfin, c'est bizarre comme sentiment. Parce que pendant tout ce temps, depuis mon viol, j'ai eu le sentiment que tout mon Monde s'effondrait. Que l'univers tout entier était brisé. Que le cosmos était éclaté, que des centaines de débris s'enfonçaient constamment dans ma peau, dans mon cœur, dans mon esprit. J'avais l'impression que mes pensées étaient complètement déséquilibrées, que c'était peine perdue, irrécupérable. Et finalement.. De les voir tous ensembles, dans un endroit dans lequel j'étais à l'aise, à se comporter comme avant, à rire comme avant, à s'engueuler comme avant.. Ca m'a donné le sentiment que c'était possible. Que tout n'était pas à refaire mais juste à reprendre. On a parlé de Coquelicot, on a parlé du Toman. Et puis.. On a parlé de moi, aussi, un peu.

- De toi ?

- Oui. On a parlé de ces derniers mois. De ce qu'il s'est passé, de comment je me sentais. Ils m'ont dit comment ils s'étaient sentis, eux aussi. Que ça avait été compliqué pour eux aussi, même si ils.. Savaient très bien que leur malaise était pas comparable à mon mal-être. Que c'était incomparable.

- Est-ce que tu peux m'en parler un peu plus ?

- J'ai pas grand chose à dire sur le sujet. Beaucoup d'inquiétude, beaucoup d'impression que tout leur échappait et qu'ils étaient désolés de pas avoir pu faire grand chose. Puis Baji a dit que c'était stupide de s'excuser quand on avait pas de pouvoir dessus. Sur les choses, sur les actes, sur mes émotions. Il a dit que tout ça était bien au-dessus de nous, au-dessus de moi. Que c'était aussi con pour eux de s'excuser que si moi j'avais envie de m'excuser pour ce qu'il s'est passé. Donc je me suis pas excusé.

- Tu comptais le faire ?

- Bah, oui. Forcément. Mais je l'ai pas fait, parce que finalement il a raison. Je peux pas m'excuser de quelque chose qui me dépasse. J'ai pas choisi tout ça. J'ai pas choisi d'avoir été violé, j'ai pas choisi de pas gérer ce qu'il s'est passé par la suite. Je me suis senti coupable pour ce qu'il s'est passé avec Chifuyu, alors que.. Enfin, j'ai juste perdu tout le contrôle, toute la conscience, toutes mes pensées. J'étais dans.. Un autre monde, j'étais juste persuadé que c'était eux qui revenaient. C'est moi qui ai frappé, c'est moi qui suis devenu un amas de violence. Je m'étais déjà excusé pour mes actes, je me suis excusé pour mon comportement avec Baji, pour mon comportement avec Draken, pour mon comportement avec chacun d'entre eux. Et je comptais le refaire, parce que j'avais le sentiment que.. Enfin, j'ai toujours le sentiment que tout ça est impardonnable, que je me sentirais toujours coupable. Mais peut-être que c'est que dans ma tête. Donc je me suis pas excusé. J'ai.. J'ai parlé de.. Enfin, je sais pas trop pourquoi mais je.. J'ai parlé du fait que j'avais voulu mourir. Que j'étais près, très près, vraiment très proche.

- Comment ils ont réagi ?

- ...

- Est-ce que tu veux en parler ?

- La prochaine fois, peut-être. La prochaine fois.

- La prochaine fois, alors."

dégénérescenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant