Chapitre 5 - Allie

35 5 0
                                    

Je ne vis pas.

J'ai envoyé Marc en prison depuis bientôt six mois. Les preuves étaient si accablantes que je n'ai même pas eu besoin de parler de ce qu'il me faisait endurer depuis toutes ses années. Le juge n'a retenu que les accusations de recels de bien volés, association de malfaiteurs et tentative de meurtre sur ma personne.

Il a pris quinze ans de prison avec huit ans incompressible. Mon avocat a demandé le divorce assorti d'une demande d'éloignement. Il a aussi l'interdiction de reprendre contact avec moi par quelque moyen que ce soit mais même s'il a signé les papiers, il a réaffirmé, devant nos avocats, que je lui appartenais toujours.

J'en ai tremblé pendant deux jours et Jen m'a convaincu de disparaitre sans laisser de traces. Je l'ai donc suivi jusqu'à Londres, en abandonnant tout derrière moi. En même temps, je n'avais plus grand-chose. Je n'ai pas fait que lui donner cinq ans de ma vie, je lui ai aussi offert tout ce qui m'appartenait.

Cette histoire m'a laissé sans rien mais je ne veux rien de ce qui lui a appartenu. Les souvenirs sont bien trop douloureux pour que je veuille m'y replonger.

Et puis garder quelque chose de lui ça voudrait dire que je l'aime encore et l'amour je n'en éprouve plus, ni pour lui, ni pour personne.

Il a réussi à me tuer à l'intérieur.

J'ai emménagé avec Jen, ou plutôt chez Jen et j'ai même trouvé un travail dans une boutique de chocolat mais je ne vis pas.

Je suis sans cesse sur les nerfs.

J'ai peur chaque fois qu'un homme croise mon regard ou se retrouve seul dans la boutique avec moi.

Quand j'ai épousé Marc, je n'avais que dix-huit ans et je n'ai jamais connu un autre homme que lui. C'est difficile de savoir ce qu'un homme a derrière la tête et je pars du principe qu'ils sont tous comme lui. Je ne peux pas prendre le risque de laisser un homme entrer dans ma vie.

Je ne veux pas revivre ce genre d'enfer.

Ça va être ça ma vie, maintenant ?

La peur de tout ?

Tout me rend folle, le silence et le bruit, l'ordre et le désordre, la solitude et le monde... Je suis complètement perdue.

Les seuls moments de joie de ma vie, je les passe avec ma sœur. Elle a le don de me dérider et j'arrive à avoir le cœur un peu plus léger.

Nous passons des soirées entières, assises parterre, à nous empiffrer de crèmes glacées, en riant de tout et de rien, à se remémorer notre enfance, à danser comme des folles sur de la musique country ou encore à regarder des films de filles qui finissent toujours par nous faire pleurer.

J'aime aussi mon travail à la boutique.

Il faut bien avouer que depuis que Marc m'avait demandé de faire la comptabilité de son garage, je n'avais plus travaillé. Il me l'interdisait, prétextant que mon travail était de m'occuper de lui et de son bien-être.

Et je me demande encore comme j'ai pu le laisser faire.

Ma patronne, Célia, me dit que je suis empathique, que je ressens exactement le désir et le besoin de chaque client et que je suis comme un livre vierge qu'il faut remplir.

Chaque mot qu'elle prononce, je l'enregistre, ce qui fait que j'ai une parfaite connaissance de tout ce qui est attrait au chocolat, aussi bien sa composition, que ses vertus ou sa fabrication.

Et puis, j'en adore l'odeur.

– Allie, venez voir ! me lance-t-elle ce jour-là alors que j'arrive à peine.

J'aime beaucoup Célia.

C'est une femme d'une petite cinquantaine d'années. Elle a de longs cheveux gris, relevés en chignon, des petits yeux bleus cachés derrière des petites lunettes en demi-lunes et de bonnes joues roses. Elle est le type même de la gentille grand-mère des dessins animés Disney.

Nous nous sommes rencontré par hasard dans le bus.

Je revenais d'une séance chez le psy que m'avait déniché Jen. Un grand type austère qui était payé à ne rien faire.

Littéralement, puisque nous passions presque une heure complète à nous regarder en silence. Il attendait que je me décide à lui parler et moi j'attendais que ça se passe. Je ne comptais pas lui parler de ma vie, de mon passé, et lui ne comptait pas me laisser tranquille.

Jen insistait pour que je lui parle, pour que je « guérisse » de Marc. Ce chapitre de ma vie appartenait au passé et je n'avais aucune intention de le rouvrir et de le raconter en détail à un inconnu en lequel je n'avais aucune confiance.

Pourtant, le regard de Célia, sa bonté et sa gentillesse a fait céder cette barrière que j'avais érigée autour de moi.

Nous avons parlé.

Pas de mon passé mais plutôt de ce que je ressentais, de ce qui m'oppressait, de mes envies et de mon avenir...

Ça a duré plus de trois heures.

Elle ne m'a pas regardé avec pitié mais toujours avec gentillesse. Puis, elle m'a offert du chocolat en affirmant, en souriant, qu'il s'agissait du meilleur anti-depresseur naturel du monde et aussi le plus efficace.

J'ai ri.

J'ai vraiment ri.

Tout est si simple avec Célia.

Elle avait besoin de quelqu'un pour l'aider à la boutique et moi je voulais aider Jen avec ses factures, ne plus vivre à ses crochets.

Ça s'est fait naturellement.

– Que se passe-t-il ?

– Qu'en pensez-vous ? me demande-t-elle en me montrant une pancarte qui doit inciter les clients à venir acheter du chocolat chaud.

– Je pense que c'est une excellente idée, affirmé-je. L'hiver est là. La neige menace de tomber depuis plusieurs jours et ça va nous apporter beaucoup de clients.

– C'est ce que je pense aussi. Oui, c'est une idée excellente et c'est vous qui me l'avez soufflée, ma petite Allie.

– Moi ? m'étonné-je.

– Oui, quand vous avez dit avoir envie de boire un grand chocolat chaud, la semaine dernière. L'avez-vous bu, au fait ?

– Non, je n'en ai pas vraiment trouvé le temps...

– Et bien voilà, déclare-t-elle en me tendant un gobelet encore fumant. Je veux que vous soyez la première à gouter celui que nous vendons.

– Célia, je...

– Allez-y, m'encourage-t-elle. Dites-moi comment vous le trouvez !

Je ne peux m'empêcher de sourire devant ses grands yeux plein d'espoirs.

J'acquiesce.

Après tout, c'est vrai que j'en ai envie. Je ferme les yeux et je laisse la fumée emplir mes narines de cette si douce fragrance qui éveille mes papilles. Je le goûte et me délecte de cette saveur si onctueuse, tandis qu'elle accroche la pancarte dans la vitrine.

– Alors ? me demande-t-elle en revenant vers moi.

– Célia, c'est tout simplement sensationnel. J'adore ça, c'est tellement fin, tellement bon... C'est une explosion de saveur pour les papilles.

– C'est une de mes compositions, admet-elle fièrement.

– Vous êtes très douée, Célia.

– Vraiment ? Vous aimez ?

– C'est un véritable plaisir.

– Vendu, s'exclame-t-il soudain nous faisant sursauter. Le plaisir au fond d'un gobelet, je prends.

Et plus si affinités... - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant