Le lendemain matin, alors que nous nous levions à l'aube encore sombre, le cocher refusa à nouveau de prendre la route. Le soleil lui semblait bien trop bas en cette heure... une surprise, sans vraiment l'être, aux souvenirs de la veille.
Ma mère, Eileen, profita de cette longue pause pour feuilleter un vieil ouvrage dans un coin calme de notre chambre, tandis que ma sœur faisait les cent pas, pestant à l'image même d'une furie. Je les abandonnai et descendis au rez-de-chaussée.
Mon père s'y trouvait déjà. Accoudé au bar, il discutait posément en compagnie de deux villageois.
— Vous n'aurez aucun mal pour dégoter de bons travailleurs par ici ! lui assura avec ferveur un barbu d'une quarantaine d'années.
Vêtu tout de cuir, un arc au pied de sa chaise et un carquois dans le dos, j'en déduisis qu'il devait être un chasseur, et sûrement l'un des meilleurs vendeurs de viandes fraîches de Brumes.
Il but une gorgée de son pichet, sans nul doute rempli de cette bière infecte que je portais en horreur, et ajouta :
— Les jeunes et les vieillards motivés ne manquent pas !
— Et puis, beaucoup espéraient voir un jour la mine de cristal rouvrir, intervint le deuxième homme qui nous avait salué la veille, avec sa carrure de montagne que je ne pouvais oublier. Elle était la fierté de notre petit village !
Je m'approchai d'eux.
— Bonjour, mon fils ! me salua Erik, suivi de ses deux compagnons de discussion. J'ai bien peur que tu descendes trop tôt. J'ai choisi le cocher le plus paranoïaque qui puisse exister...
Je jetai un coup d'œil à ce soi-disant fou. Debout face à l'une des fenêtres de la salle, il scrutait l'extérieur d'un air anxieux.
— Ne le jugez pas si mal, messire, lâcha le chasseur. Il a bien raison de se méfier. Ici, une fois les rayons du soleil affaiblis, des accidents meurtriers tuent les gens un peu trop téméraires. Ne vous aventurez jamais dehors, hormis en plein jour.
— Pourquoi parlez-vous d'accidents et non de meurtres, s'ils se produisent toujours à un moment précis ? m'enquis-je en m'asseyant aux côtés de mon père.
Les deux hommes échangèrent un long regard. Ils semblaient à la fois incertains et terrifiés à l'idée de me répondre en toute sincérité.
— Les... Ils... Aucune des victimes n'a de traces d'agressions, déclara finalement le chasseur d'une voix hésitante. Nous les retrouvons mortes après une chute, ou d'autres causes naturelles... mais qui restent néanmoins étranges.
— Cela dure depuis longtemps ? s'inquiéta mon père.
— Depuis toujours.
Un silence oppressant nous enveloppa... quand le deuxième homme donna un coup de coude dans les côtes du chasseur. Celui-ci lui lança un regard sombre, mais ne dit mot. Son compagnon fronça les sourcils devant son refus catégorique d'obtempérer et prit finalement la parole :
— Il oublie de vous préciser que ces accidents se sont largement multipliés depuis que les anciens Griffenoire nous ont quittés. C'est aussi pour cette raison que les gens voient votre arrivée d'un bon œil. Ils prient pour que vous ayez autant d'impact que vos ancêtres.
— J'espère surtout que ma famille ne fera pas les frais de ces soi-disant accidents, avoua Erik en me glissant un air des plus angoissés.
Je le lui rendis, guère plus confiant quant à la suite de notre nouvelle vie dans ce coin que je pensais jusque-là perdu et sans histoires. Non, mais sérieusement ! Qu'avions-nous fait pour que la malchance nous poursuive ainsi ? D'abord, notre famille nous déshéritait et nous molestait ouvertement, et lorsque nous trouvions une lueur d'espoir vers une vie meilleure, il fallait que le village où nous emménagions suive le rythme effréné de meurtres aussi suspects qu'inquiétants.
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Brume [TERMINÉ]
Mystery / ThrillerKilian, fils d'un noble déchu, déménage avec sa famille vers le village de Brume dans l'espoir d'un nouveau départ. Mais ses rêves d'une vie meilleure s'envolent en une nuit. Kilian se retrouve face au terrible mal qui ronge ce hameau et aux hurleme...