Le passé n'est pas toujours vérité... - partie 1

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Cela faisait maintenant deux semaines que ma sœur avait passé l'arme à gauche. Nous l'acceptions doucement. D'après les villageois, Brume ne comptait qu'un seul de leurs prétendus accidents par cycle de lune. À la prochaine nuit baignée de l'étoile ronde, les terres redeviendraient donc mortelles...

Erik, qui se remettait bien mieux de ses émotions que nous, avait profité de ces jours passés pour ouvrir la mine de cristal. Une dizaine d'hommes y travaillaient déjà et recevaient des salaires qu'ils jugeaient très corrects, tandis que mon père les pensait dérisoires comparés à ceux gagnés en ville. Le minerai extrait de la mine se revendait à prix d'or, lui laissant une marge de profit considérable.

Rapidement, il avait investi dans du matériel pour soulager le travail des mineurs, ainsi que quelques têtes de bétail pour produire un peu de lait et de laine, mais surtout, pour occuper ma mère qui ruminait la mort de sa fille. Au début, son initiative l'inquiéta, mais madame Crouf lui enseigna quelques bases pour veiller un cheptel. Et comme à leurs habitudes, elle refusa toute compensation monétaire... je ne comprenais toujours pas la raison de leur gentillesse. Se serraient-ils les coudes pour mieux tenir face aux morts qui tombaient dès que l'astre nocturne affichait sa rondeur bleuâtre ?

J'hésitais...

Et je préférais rester sans travail pour me concentrer sur ces accidents qui s'apparentaient davantage à des meurtres. Suite à la mort de ma sœur, j'étais dorénavant convaincu que ces yeux jaunes leur étaient liés... mais comment ? Les habitants les décrivaient comme le mauvais présage, l'alerte avant le drame.

Personnellement, je doutai de cette affirmation.

Pourquoi ces prunelles sauvages ne pouvaient-elles pas tout simplement être celles du meurtrier ? Un assassin assez dérangé pour tuer ces victimes de manière que l'on puisse croire à des accidents grotesques... ou bien une bête dressée pour effrayer les proies et les pousser à se mettre dans des situations périlleuses qui causeraient leur mort.

Je décidai donc de remonter les années pour mieux comprendre les faits.

C'est ainsi qu'après un copieux petit déjeuner, je m'en allai rejoindre le vieil ébéniste à son atelier. Il était un des plus anciens habitants du village, mais surtout, un des plus bavards. Je trouvais d'abord son fils, en plein travail devant leur chalet, qui m'indiqua rapidement où dénicher son père.

Au fond de son atelier, le vieil homme plissa les sourcils à mon arrivée.

— Hum... vous me rappelez votre grand-père quand il était jeune. Et fichtre que cet homme ne bougeait pas pour un rien ! m'assura-t-il en essuyant ses mains poussiéreuses sur son tablier de cuir. Je ne suis pas encore assez gâteux pour croire que vous êtes ici pour mes œuvres ou pour un simple bonjour.

Je me raclai la gorge, mal à l'aise.

— Je me demandais si vous pouviez m'éclairer les idées quant à l'histoire de ce village.

— Vous souhaitez découvrir pourquoi vos ancêtres sont partis si précipitamment ? s'enquit le vieil homme d'un air malin.

— Entre autres, avouai-je en prenant place face à l'ébéniste, sur un tabouret à l'assise rongée par le temps. Mais j'aimerais surtout en savoir plus sur ces accidents... et ces yeux jaunes à la réputation si morbide.

Il me jaugea du regard. Étrangement, il semblait hésiter à me dévoiler la vérité, alors que tous prétendaient haut et fort que l'arrivée de ma famille en était peut-être la solution. Pourquoi ce doute soudain ?

Finalement, le vieil homme soupira.

— Bien que je préfèrerai vous tenir à l'écart de cette histoire, vous êtes en droit de la connaître. Mais pas ici.

Brume [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant