Le lendemain matin, le salon de la maison s'était transformé en un véritable banquet. Une dizaine d'hommes déjeunaient bruyamment en compagnie de mes parents. Où ma mère avait-elle déniché autant de nourritures à l'improviste ?
— Oh, mon fils ! s'exclama-t-elle en m'apercevant au pied des escaliers. Il vaudrait mieux que tu restes allongé.
Je lui fis signe que je me sentais bien et m'assis en bout de table, sur l'une des dernières chaises libres.
— As-tu réussi à fermer l'œil ? s'enquit mon père alors que je me servais un bol de lait tiède.
Des cernes longs de deux pouces sous mes yeux, je me passai de lui répondre et lui coulai un regard en biais. Il sourit, apparemment amusé par mon air de déterré.
— Que comptez-vous faire maintenant, messire ? demanda l'un des ouvriers.
Erik ne répondit pas sur le coup, ne comprenant probablement pas la question au premier abord.
— Garder un fusil sur moi en permanence, lâcha-t-il, une fois son esprit plus clair. Et si cette bête ose montrer à nouveau le bout de son museau : la tuer une bonne fois pour toutes !
Les ouvriers baissèrent le nez.
— Déjà que nous avions des problèmes d'accidents mortels sur le dos, voilà qu'une bête sauvage s'ajoute au lot, grommela le trentenaire, les yeux rivés sur son bol.
Je ne dis mot, mais je restais convaincu que cette bête était responsable de ces soi-disant accidents. Après tout, sur nos trois rencontres, elle ne m'avait mordu qu'une seule fois. Les autres auraient donc très bien pu se maquiller en accidents si j'avais chuté en prenant mes jambes à mon cou.
Le soleil encore trop timide derrière la canopée, les ouvriers décidèrent d'aider mon père à remplacer la porte arrière du manoir. Quand ils eurent terminé, les rayons de l'astre lumineux inondaient la vallée de leur douce chaleur. Ne craignant plus la faucheuse nocturne, ils s'en allèrent pour la mine. Je m'habillai pour les suivre, mais mes parents m'en empêchèrent de cris horrifiés. D'une grimace éloquente, j'exprimai mon mécontentement, mais les mineurs soutinrent leur avis qui, sans l'avouer, ne souhaitaient certainement pas voir la bête aux yeux jaunes tourner autour de leur chantier par ma faute.
C'est ainsi que je me retrouvai coincé au manoir par cette journée claire, avachi dans un fauteuil du salon, face à la cheminée, m'ennuyant plus que jamais. Je laissai mon imagination s'envoler pendant un moment, associant les flammes du feu à des femmes dansant au fil d'un air de violon. À rêvasser ainsi, un sourire benêt étirant mes lèvres, la fatigue me gagna doucement. Je me laissai aller, rattrapant mes heures de sommeil perdues après ces derniers jours catastrophiques, quand ma mère posa une main protectrice sur ma tête.
— Si seulement ton père n'avait jamais trouvé ce parchemin, soupira-t-elle, un voile de tristesse obscurcissant ses belles prunelles. Tu ne serais pas dans cet état et ma fille serait encore en vie.
Je lui coulai un regard compatissant, et elle monta à l'étage. Le contrat lui pesait si lourd sur le cœur... Elle n'était pas mécontente de l'anoblissement soudain que nous avions acquis en venant ici, mais en valait-il la peine face à la vie de ses enfants ? Je doutais qu'elle réponde favorablement à une telle question. Malheureusement, nous ne pouvions plus revenir en arrière. Nous étions à présent liés à ce contrat.
Lié à ce village maudit.
Lié...
Ce mot me rappela les murmures de la bête :
Un lien de sang nous unit...
Mon esprit fit un tour sur lui-même.
Un lien de sang ! Lié au contrat !
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Brume [TERMINÉ]
Mystery / ThrillerKilian, fils d'un noble déchu, déménage avec sa famille vers le village de Brume dans l'espoir d'un nouveau départ. Mais ses rêves d'une vie meilleure s'envolent en une nuit. Kilian se retrouve face au terrible mal qui ronge ce hameau et aux hurleme...