Rumeurs à la dure réalité... - partie 1

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— Les gens sont étranges par ici, déclara ma mère quand son époux acheva son histoire, et nous nos desserts.

— Ils sont juste serviables et accueillants ! soufflai-je d'un ton peut-être trop sec.

Mais je trouvais déplacé de dénigrer des hommes qui nous avaient tant aidés en une simple demi-journée. Malheureusement, mon père n'adhéra pas à mes pensées.

— Personnellement, j'ai comme l'impression que toute cette gentillesse cache quelque chose...

Je préférais ne pas insister sur le sujet. Avec tout ce que mes parents avaient traversé à cause de leur propre famille, ils ne croyaient plus en la bonté des gens. Pour eux, seuls le gris ou le noir existaient.

Le blanc n'était qu'utopie...

Le déjeuner englouti, nous continuâmes de combler les pièces vides du manoir. Les fauteuils furent les meubles les plus lourds... même plus que les buffets ! À tel point qu'Yvie vint nous donner un coup de main. Elle restait une demoiselle à la ligne élancée, mais son caractère irascible lui conférait plus de force qu'elle n'y paraissait...

— Ces meubles sont vraiment magnifiques, avoua ma mère qui les astiquait déjà, un torchon entre les doigts.

De bois sombre, leurs pardessus moelleux, de tissu aux tons beiges, s'harmonisaient parfaitement aux couleurs du chalet.

— Je trouve qu'ils sont effrayants avec leurs gueules de loup, lâcha ma sœur qui caressait du bout des doigts les formes des sculptures.

Chaque accoudoir représentait la tête d'un canidé, gueule ouverte, à l'image de la rampe d'escalier ou des pieds de la table à manger. Les pointes de leurs canines avaient été limées pour éviter tous accrochages fortuits.

— J'ignorais que le loup était l'emblème de notre famille, ajouta-t-elle pensive.

— Je ne le savais pas plus que vous tous, avoua mon père en bourrant la cheminée de bois. Je l'ai découvert en retrouvant le contrat de propriété pour la mine. Il était apposé sur le sceau de cire. Mais assez discuté ! Reprenons le travail.

Les rayons du soleil léchaient la canopée quand nous achevâmes de combler toutes les pièces du manoir. Notre demeure prenait une vraie allure de maison de maître ! Un tel espace était si grisant. Je pressentais que je m'habituerais très vite à cette nouvelle vie pleine de confort.

Mais plus important que de contempler toute cette richesse, je devais ramener les deux chevaux de trait à leur généreux propriétaire. Mon père n'y vit pas d'inconvénient, d'autant plus qu'il ne se sentait pas à l'aise d'abuser de la gentillesse des villageois. J'enfilai sans attendre un épais pardessus et enroulai une écharpe de laine autour de mon cou. Je la remontai jusque sur le bout de mon nez par peur du froid.

Dehors, malgré mon maigre intérêt pour la nature, le paysage glacial m'envouta sous son soleil couchant. Une palette de tons chauds contrastait avec élégance au froid de la neige. Les plaques de verglas se transformaient en flaques couleur de lave et les nombreux épineux bordant le sentier brillaient d'une myriade de joyaux. Leurs couches de neige gelée scintillaient telles des bougies fugaces sous les rayons du soleil qui perçaient à travers leurs épines.

Brumes était elle aussi splendide. Les peintures murales de ses bâtiments hauts en couleur cassaient sans agressivité la blancheur de la neige. Malheureusement, la nuit tombée ne me permettait pas de les admirer à leur plein potentiel. Seules quelques lampes à pétrole, accrochées de-ci de-là aux poutres des chalets, éclairaient les rues de leur faible lueur. Elles leur conféraient une aura chaleureuse malgré les températures qui me gelaient les doigts.

Brume [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant