21. Téha.

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Ma chienne me fixe de façon très intense. Enfin, je ne crois pas qu'il faille que je l'appelle ainsi maintenant. Quand je vois le respect et la soumission que lui vouent Ray et Queen, je veux dire par là, qu'elle a tout de même l'apparence d'un chien, est douée de transformation. Même si elle a pour enfant un être humain. Quoi que je l'aie vu prendre en partie forme humaine lors de l'attaque des Naggas !

Je ne sais pas vraiment ce que je dois lui dire d'autre, ni même par où commencer. J'ai tant de questions qui se bousculent dans ma tête ! Seulement est-ce l'endroit pour avoir cette conversation ? Lysianah est une empoisonneuse comme l'a si bien dit Queen. Elle doit avoir une propension à la méfiance, afin d'avoir toujours une longueur d'avance sur n'importe qui, peu importe que ce soit des amis ou des ennemis.

— Téha, il faut que tu te joignes au cœur, m'interpelle Queen en tendant sa main.

Je pose mes yeux sur elle puis sur la fêlure qui palpite à un rythme régulier. Sa couleur si extraordinaire s'intensifie quand je sens mon cœur revenir à la vie et cogner à l'unisson. Je me saisis de la main de mon compagnon et il m'entraîne jusqu'à la faille. A genoux, il m'oblige à m'installer en face de Chagun. Ce dernier empoigne ma main, la serre, la caresse puis la retient prisonnière entre les siennes.

Je ne sais pas ce qu'est ce protocole, mais d'un chaste baiser sur les jointures, il chuchote quelques mots que je ne comprends pas et la mène sur la crevasse frémissante. Plus ma main s'approche et plus les pulsations s'accélèrent. Comme un chant lointain qui envoie un message vers un endroit que je ne connais pas et qui investit mon corps avec douceur et chaleur.

Sous ma peau, une vague tiède rampe comme une caresse et parcourt tout mon corps. Elle enveloppe ma chair, mes muscles, mes organes et la moindre cellule qui frétille si fort que je prends conscience de mon être entier. Percevoir l'existence de soi comme une deuxième entité qui, allouée à mon âme ne faisait plus qu'un. Ce corps que j'ai si longtemps détesté; Parce qu'il représentait le rejet frontal de ma mère, la perte de son amour, sa colère permanente qui est devenue la mienne à présent. Et là, en cet instant je me sens enfin moi, malgré ces immenses ailes qui pèsent dans mon dos.

Je fixe ma main en contact avec la fêlure. Je remarque alors que mes doigts se plient et déplient au rythme du cœur. Et à l'instant où je comprends qu'en réalité mes doigts ne s'agitent pas sous le chant du cœur, mais qu'ils changent tout simplement de forme, la douleur percute enfin mon cerveau et mes synapses volent en éclats. Je ne peux retirer ma main du feu de la crevasse dans le sol, je suis comme collée à elle. Mes doigts recroquevillés autour du fragment mauve qui pousse la pierre du sol, sont devenus des serres immenses aux griffes acérées. Plantées profondément dans le fragment, le courant puissant du cœur remonte par elle et mon bras afin de l'envahir à une allure hallucinante. Je tire sur mon bras pour dégager mes griffes fichées dedans et pousse un hurlement de rage. Lysianah nous a menti.

" Téha ! Laisse le Cœur réveiller ta puissance. Laisse le Cœur ouvrir ton pouvoir au monde," s'exclame la voix que je ne reconnais tout juste et qui résonne dans ma tête. Eytiri.

Elle est tellement forte que j'ai l'impression de sentir un essaim d'aiguille se planter dans mon cerveau. Cela me vrille derrière mes yeux. De mon autre main, je presse ma paupière gauche et lâche un gémissement. Tout n'est que douleur ! Pourquoi les caresses ont disparu ? Pourquoi recevoir un tel cadeau par autant de souffrance ?

J'ouvre mes yeux larmoyant en quête d'une aide, mais je n'y vois pas grand-chose. Le voile du Néant s'est répandu autour de ma cornée. Je cligne à plusieurs reprises pour l'évacuer et même avec l'aide de ma main libre, j'ai du mal. Il faut absolument que je m'éloigne de la palpitation encastrée dans la roche. Je pousse sur mes bras tordus par une transformation que je ne désire pas et n'arrive toujours pas à extirper ma main. Personne autour de moi n'intervient. Pas un mot n'est prononcé, mis à part cette voix qui m'ordonne de laisser faire. Mes pieds positionnés de part et d'autre de ma main-serre prisonnière du cœur, je pousse fort à m'en déboîter le poignet. Je grogne d'agacement puis, je cris de colère !

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