Chapitre 52. Téha.

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Décapiter un homme c'est déjà beaucoup, le faire sans mon consentement est une chose mais massacrer des dizaines d'hommes et de femmes en est une autre. Eytiri me garde près d'elle durant l'attaque, guidant mon corps avec des gestes précis et efficaces en harmonie parfaite avec Queen. Je ne vais pas renier que cette coordination impeccable me donne presque des ailes car malgré moi, je joins mes gestes aux siens.

C'est là que j'expérimente pour la première fois l'exaltation qu'Eytiri éprouve au combat et à la mise à mort. Jusqu'à ce qu'en arrière plan de la scène j'entends siffler à mes oreilles, le chant vicieux de l'innommable. Eberone est dans le Néant et me susurre des mots doux. Eytiri a une légère panique qui se ressent dans ses gestes vifs et saccadés.

" Laisse moi avec Queen, Eytiri. Je suis en sécurité avec lui."

Elle ne me répond pas. Je la sens en proie à l'indécision.

" C'est ce que j'essaie de faire, Téha, " gronde-t-elle comme si elle subissait une pression importante.

" Qu'est-ce qu'il se passe ? "

Ses membres commencent à trembler et un mal de crâne nous submerge.

"Elle tire. Eberone est là, dans mon sillage. Elle tire sur notre lien entre le Néant et l'Entre-deux-mondes et ... je n'arrive pas à contenir ses attaques"

"Eytiriiiiiii... petite cachottière..."

Un éclat de rire strident entre le bruit des ongles sur de l'ardoise et un égorgement nous surprend. Eytiri s'immobilise et hurle de dépit avant de nous envoyer toute les deux dans le Néant. C'est violent comme une lame de fond. Je me sens brisée en deux puis remodeler par des prises puissantes. Je hurle de douleur et ouvre les yeux sur mes mains difformes qui se transforment à loisir. De la patte d'un félin aux serres d'une rapace en passant par des griffes, je ne compte plus le mal que m'inflige ce voyage. Je suis déjà allée dans le Néant et j'ai juste oublié que la traversée est une épreuve insupportable.

Mais ce n'est pas le Néant qui m'accueille.

Mon esprit est frappé par une multitudes d'images, des souvenirs qui me percutent sans que je ne sache comment les stopper. C'est comme le déroulement en accéléré d'un film de toute une vie qui subitement s'arrête sur une scène puis repart à la recherche d'une autre. C'est déroutante t malaisant en même temps. Mon estomac se retourne puis se calme et c'est un mal de tête qui le remplace.

Tout à coup je me sens projetée dans une réminiscence dont je ne discerne que les acteurs principaux. Un vieil homme assis au chevet d'un jeune homme. La scène pourrait être touchante si elle n'était pas si triste. Elle pourrait être douloureusement compréhensible si le vieil homme n'avait pas ce sourire satisfait sur le visage devant l'état maladif et déplorable de l'homme alité.

Le film de ce souvenir se floute puis redevient net, avant que je ne comprenne qu'une porte se referme. Je suis de nouveau envoyé dans un autre souvenir. Le vieil homme, habillé d'une longue tunique grise, ornée de magnifiques arabesques et de sigles inconnus dorés attend devant une fenêtre, digne de celles des cathédrales européennes. Les mains croisés dans son dos, il patiente en silence. Un son me vient à l'oreille, c'est feutré et un souffle discret m'échappe. Enfin ce n'est pas moi, c'est quelqu'un d'autre. Je ne me pose pas la question de savoir qui est le sujet. Je sais que c'est Eytiri.

— Père ? Vous m'avez fait demander ?

Le vieil homme se retourne vers nous. Il porte sur lui son plastron royal qui étincelle sous les orbes mauves.

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