3. Téha

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Toute cette noirceur.

Je serre les paupières plusieurs fois, si fort que je sens un liquide gluant perler à travers mes cils. Je ne peux pas croire ce qu'il m'arrive. Mes émotions noient mes yeux. Lorsque j'ouvre de nouveau les paupières, je suis méconnaissable. Un voile épais obstrue une partie de ma vue et ma vision est réduite à une seule nuance : le gris. J'essuie du bout des doigts ce qui s'échappe mais le liquide revient inlassablement. Même avec de l'essuie-mains humide, je n'arrive pas à venir à bout de cette chose dégoûtante.

Découragée par l'inutilité du geste, je jauge à travers ces larmes noires, mon visage si pâle et mes prunelles immergées. Mon esprit ne parvient pas à saisir ce qu'il observe mais le constat est clair. Je suis un monstre.

Je refuse d l'admettre et referme les paupières pour soustraire à ma vue ce que je suis devenue. Et alors que je réalise que je n'ai pas le choix, que le cauchemar est bien réel, mon être entier se met à battre au rythme de ma peur. La panique revient à la charge, s'insinue au plus profond de moi et enlève tout contrôle. Je suis à sa merci. Je n'aime pas ce que je ressens. Cette terreur, cette solitude immense qui m'étreint si fort, et une haine qui insidieusement grignote mon esprit. Je n'ai qu'une seule envie de m'extirper de mon corps que je ne reconnais déjà plus depuis des années. Comme si mon enveloppe d'origine ne m'avait jamais appartenu !

Le silence s'enroule doucement autour de moi, m'isolant dans cette torpeur qui m'a happé pour la première fois, quand j'étais ado. Les souvenirs flous de mon adolescence ne me permettent pas d'affirmer que j'en ai vécu dans ma tendre enfance. A mon grand regret. Il y a tellement de choses qui m'échappent depuis l'accident.

Du mouvement se fait sentir près de moi, des mains me secouent. Je m'immobilise et tends l'oreille. Ce silence m'énerve, il me coupe de tout et je veux savoir qui est la personne qui me touche. Mais pour ça, il faut que j'ouvre les yeux. Et je ne veux surtout pas que la personne les voit. Voit quel monstre je suis en train de devenir.

Je réussis à esquisser un geste de la main et repousse cette personne trop faiblement peut-être. Je ne parviens pas à émettre le moindre mot. Tout reste coincé dans ma gorge et pourtant j'arrive à crier. D'ailleurs, c'est la seule chose que mon corps consent à me laisser faire. Crier, hurler et gémir. De douleur, de peur, de frustration et de colère. Tant d'émotions qui se confondent les unes aux autres.

Les mains s'agrippent de nouveau à moi et me forcent à me tourner vers la personne. Je reconnais alors le parfum masculin de Ray. Une sorte de soulagement s'empare de moi, mais un court instant seulement. Car je ne veux surtout pas qu'il voit le noir qui coule des mes paupières closes ! Je me refuse à cela. C'est une part de moi qu'il ne doit pas connaître.

- Té..., je crois entendre.

Mais la voix est trop faible pour que je saisisse si elle m'appelle ou non. Je gémis, n'ayant aucune autre possibilité de communiquer avec lui.

- Té... ha... me secoue-t-il plus violemment. Sa voix est tantôt faible, tantôt forte.

Le mélange d'émotions qui m'habite, éclate en un effet ricochet jusqu'à fuir par tous mes pores et insuffle une sorte de nuage cotonneux violent et étouffant autour de moi. Je le sens s'enrouler comme un serpent vicieux autour de mon être. Je sais que si j'ouvre les yeux, je peux le voir. Il se meut avec lenteur pour le moment, mais je sens comme un vent violent naître en son cœur et accélérer son ascension. J'ai le pressentiment que l'orage va exploser et Ray ne doit pas rester auprès de moi.

J'ouvre la bouche pour lui crier de partir. Mais un râle immonde s'en échappe. Qu'est-ce que je deviens ? La panique reprend le dessus. Elle avale toutes les émotions qui me contraignent à rester prostrée.

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