Deux

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Abibatou Diongue

À cette heure du jour, le muezzin entama l'appel à la première prière, Fadjr ; les coqs et les oiseaux chantèrent ; les chats miaulèrent ; les chiens abandonnés aboyèrent ; les noctambules revenant de leur bal du samedi ricanèrent ; les sirènes retentirent de plus belle ; les voitures klaxonnèrent et les activités de la cité débutèrent à peine.

Quant à moi, je m'étais déjà levée. J'avais accompli mes prières et toutes mes tâches ménagères avant de solliciter l'argent pour le pain auprès de ma mère, à qui, au préalable, j'avais exprimé mes salamalecs.

« J'ai fini », prononçai-je d'une voix douce, telle celle d'une jeune enfant.

« Ah oui », répondit ma mère en se raclant la nuque, geste signifiant qu'elle ne disposait d'aucun sous. Je compris parfaitement ce geste, ayant vécu quatorze longues années dans cette "misère".

« Ce n'est pas grave », répliquai-je. « Je vais préparer le café, et tout ira bien. »

« Que Dieu te bénisse, ma fille. Tu es si compréhensive à ton âge. »

Je me dirigeai vers la cuisine pour confectionner le café noir. Plaçant un entonnoir au-dessus de la cafetière, je versai la poudre de café à travers un filtre en tissu blanc fin. L'eau chaude coula sur ce dernier jusqu'à atteindre la limite habituelle. Une fois débarrassée de tout ce qui était posé sur la cafetière, je sucris le café en remuant jusqu'à ce que je n'entende plus aucun bruit de grain de sucre au fond. Sortant deux tasses, deux cuillères et un plateau que j'eus préalablement lavés, je pris soin de nettoyer le filtre dans de l'eau savonneuse pour lui rendre sa couleur originale. Après avoir essuyé la vaisselle et chauffé le café déjà prêt, je revins dans la chambre avec un plateau en caoutchouc.

Nous buvions notre café en restant silencieuses. Soudain, j'ouvris la discussion :

« Comment va papa ? »

« Je ne l'ai pas vu hier. »

« Comment ça ? N'est-ce pas que tu étais là hier toute la journée ? »

« Certes, mais les médecins m'ont conseillé de ne pas entrer dans la cabine. »

« Cabine ?! »

« Oui... »

« Comment pouvez-vous payer une cabine ? »

« C'est son meilleur ami, Abdoul Cambel, ton parrain, qui a payé les frais. »

« Ah d'accord, il est vraiment gentil, mais il ne peut pas toujours régler nos problèmes financiers. C'est inhumain ! »

« C'est juste. D'ailleurs, c'est ce que je me disais. Il t'a demandé. Il m'a aussi dit de t'amener chez lui à Yoff. Je pense qu'il a deviné la vie que l'on mène. »

« Quoi ?! Quitter la maison et te laisser ici faire tout le travail. Non, c'est hors de question. »

« En ce qui me concerne, ne t'inquiète pas, car j'irai au marché revendre mes tricots de laine si ton père se guérit, s'il plaît à Dieu. »

« En plus, je serai loin de Binetou. »

« Loin... », ricana ma mère. « Il faudra juste prendre le bus de temps en temps pour venir ici. »

« Pourquoi tu dis 'de temps en temps' ? » demandai-je en faisant des guillemets avec mes doigts.

« Tu ne seras pas chez ton père. Certes, c'est ton parrain, mais ce n'est pas ton vrai père. Il faudra rester à la maison et être sage. J'ai certes dit que ce n'est pas ton père, car c'est juste pour que tu connaisses tes limites en vivant chez lui, mais il faudra le considérer comme ton vrai père. S'il te corrige, il doit le faire. S'il te gronde, il doit le faire. »

« Mais je ne veux pas y aller. »

« Tu dois le faire. Je sais très bien ce que je te dis, car si tu restes dans la maison, tu mourras de faim. Moi, je suis adulte. Je saurai me débrouiller. Quand je suis au marché, on m'invite à chaque repas pour manger avec eux. »

« Je vais le faire pour toi, mais bof... »

« Je vais partir à l'hôpital voir ton père, sinon je serai en retard. »

« Puis-je t'accompagner ? »

« Si tu veux. » Ce qui voulait simplement dire « oui ». Nous partîmes à l'hôpital. Nous marchâmes tout le trajet, car pour prendre un taxi, il nous fallait de l'argent. Arrivées devant le portail du grand bâtiment vert-blanc, l'hôpital, nous vîmes l'ambulance arriver, évacuant un blessé. Nous entrâmes dans la cabine. Cette fois-ci, notre visite n'était pas interdite. J'étais désespérée de voir mon père dans cet état. Il n'était plus la même personne que j'avais connue. De son torse nu, j'apercevais ses os presque visibles. Ma mère, la tête baissée, pleurait sous son voile. Mes larmes vinrent accidentellement, ce qui n'était pas habituel. Nous savions tous qu'il allait manquer quelqu'un dans la famille.

« Ce n'est pas le moment, priez pour moi », fit mon père désespéré, « je sais ce que je ressens... »

« Loue Allah ! », dit ma mère. Moi, je ne savais plus quoi faire, mais je priais pour lui silencieusement. Mes invocations se multipliaient.

« Abiba... Je sais que je n'ai jamais été le meilleur père pour toi. Certes, je t'ai bien éduquée, mais il t'a manqué quelque chose : l'affection paternelle. Mais sache que tu es le plus beau cadeau que Dieu m'ait offert, même si je ne t'ai pas traitée comme une princesse. Je ne t'ai jamais haïe, mais j'ai abusé de ma sévérité et mon autorité envers toi.Je sais que tu es très sage comme fille.
J'espère que tu comprendras bien mes dires...»

Il entendit un moment avant de se retourner vers ma mère :

-Rokhaya, pardonne-moi...

Puis retourna la tête...

Ibrahima...Ibrahima...Ibrahima...Ibra...! Hurla ma mère .

Il est parti à jamais...

AbibaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant