PROLOGUE

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J'observe l'agitation de la rue en contrebas, dissimulé par l'épaisse frondaison du chêne séculaire qui me sert de perchoir. L'écorce de la branche constitue mon assise, puissante et fidèle.

Une de mes jambes pend dans le vide. Je suis à plusieurs mètres de hauteur mais je ne ressens absolument pas la lourdeur de la gravité. Au contraire même, je me sens aussi léger que l'air.

J'inspire et me délecte des odeurs hivernales de ce mois de février, ignorant les relents âcres des bouches d'égouts, des pots d'échappements des milliers de véhicules qui pourrissent l'atmosphère, des parfums mélangés des passants qui fourmillent dans cette ville qui ne dort jamais.

Blasé, mon rictus s'inscrit sur mes traits comme un refrain quotidien. Je relève la tête pour stopper l'agression de mes rétines par ces êtres inférieurs et me heurte à l'astre lunaire.

Magnifique...

Le croissant de lune blanc qui se déploie sur la voûte céleste me donne toute l'énergie dont j'ai besoin. Inutile de regarder l'heure sur une montre, me fier au positionnement des étoiles me renseigne avec plus de fiabilité que n'importe quel engin humain.

Tous ces artifices technologiques pour dissimuler leur misérable recherche d'attention... désespérant. 

Je souris, narquois, envoie un clin d'œil complice à l'astre au-dessus de ma tête et me décide à quitter le chêne qui m'a recueilli l'espace de quelques minutes.

Il est plus que temps de me mettre en route, j'ai tellement patienté pour ce moment. Cette rencontre.

Qui n'a rien du destin, qu'on se le dise.

Je ne crois pas en ces conneries de routes toutes tracées déjà depuis la naissance, on fait tous nos propres choix et nous vivons avec les conséquences. Point barre.

Mais ceux qui m'ont approché et qui ont fait appel à moi croient dur comme fer aux chemins prédestinés... et m'ont convaincu.

(Avouons qu'ils avaient de bons arguments.)

Je saute de mon perchoir sans être gêné par la hauteur. La dizaine de mètres qui me séparent du sol n'est rien qu'une formalité.

Mes cheveux longs ont à peine le temps de voler sur mon visage en mèches éparses que déjà, je les ramène derrière mon crâne.

J'ai fait un effort, ce soir. Histoire de me fondre dans la masse... même si ça relève du miracle. Mon physique détonne, que je sois habillé d'une simple chemise sombre en lin et d'une légère veste comme actuellement ou d'un costume à dix mille balles. Mais, oui, je sais m'adapter. J'ai appris.

J'intègre les rues animées comme si je me confondais à l'environnement pourtant si hostile.

Tous ces humains... bordel, ils pullulent !

Je grimace intérieurement face à la cacophonie de voix qui agressent mes tympans ultrasensibles et à ce déluge de parfums en tout genre. Ils auront beau essayer de camoufler leur odeur rance de transpiration par des ersatz de Dior ou de Chanel, les humains n'en restent pas moins des créatures puantes et geignardes.

À quelques exceptions près, tout de même. Ils ne sont pas tous fondamentalement dénués d'intérêt... je leur accorde ça.

Tandis que je sinue parmi la foule, je remarque les regards insistants de plusieurs femmes sur ma silhouette.

(Évidemment.)

Je n'y fais pas attention. Pas ce soir. Je ne suis pas là pour chasser la première qui passe, mais pour en rencontrer une. Et pas n'importe laquelle...

Le Masque de la Lune - TOME 2 - Les lois du sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant