• Chapitre 3 •

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J'aurai dû demander le chemin au domestique car il m'a fallu bien cinq bonnes minutes pour trouver le chemin de la salle à manger. Et encore ! Il y en a une autre. Mais à ma surprise, je ne trouve pas mon patient. Pourtant, deux assiettes sont dressées opposées l'une à l'autre. La pièce est spacieuse. Seule une table et des chaises comblent le vide de la salle.

Quelques tableaux recouvrent les murs. Je parcours les jolis paysages campagnards mais je m'arrête devant le plus sombre. Contrairement aux autres qui ont l'air fait par un pinceau amateur, ce dernier est plus élaboré. La nuit représentée est magnétique et à la fois effrayante. Qui voudrait d'une œuvre aussi obscure dans sa salle à manger ?

     — Le lac de Gérardmer, tonne subitement une voix profonde. Léon Bonnat a réalisé cette œuvre d'art.

Je me tourne vers un jeune homme dans la vingtaine. Frissonnant à son regard grave, le présumé monsieur Lee m'observe depuis l'entrée de la salle. Docteur Harris m'a également omise qu'il est d'un charme fou et troublant. Vêtu d'une chemise et d'un veston, il intimide ma simple tenue qui semble beaucoup trop chaleureuse face à lui.

D'une allure désinvolte, il comble les quelques mètres entre nous et me tend sa main. Reprends ton sérieux, Erika ! J'ai l'impression d'être plus atteinte que lui. Avec plus de conviction, je la serre. Et durant une seconde, il semble me broyer la main bien que la sienne ne soit pas si grande et forte. Je dois certainement rêver.

     — Je suis Lee Felix. Mais vous pouvez m'appeler Felix. Vous êtes sûrement l'accompagnatrice...

Durant une seconde, je suis troublée puis je me rappelle de l'appel téléphonique des Lee. Un détail me rend mal à l'aise. Ils ont informé leur fils que je serai là pour l'aider dans ses relations sociales, évitant de lui dire que je suis une bénévole de la clinique psychiatrique. Je vais devoir en parler au docteur Harris.

     — Pas vraiment, monsieur... Felix. Plutôt une coach de vie ou même simplement une escorte sociale, si vous voulez.

Il me dévisage assimilant mes paroles puis sans un mot, il me fait signe de nous asseoir à table. Je prends place à l'autre bout du meuble. Directement, je sens l'écart immense entre nous deux. Il claque des doigts et deux chariots sont poussés dans la pièce laissant les domestiques nous servir le dîner. Quand ces derniers se retirent, nous entamons notre assiette en silence.

Furtivement, j'examine chacun de ses gestes. Il déguste avec calme et lenteur. Ses yeux sont baissés sur son repas sans jamais croiser les miens. J'en profite pour le scruter plus méticuleusement. Bien qu'il doit être dans ma tranche d'âge, il arbore une chevelure grise violacée d'où quelques mèches retombent lâchement sur ses tempes. L'iris de ses pupilles m'ont semblé être d'un marron très obscur lorsqu'il m'a saluée. Ses sourcils épais sont froncés comme s'il réfléchissait. Pour une forte présence, il est muni d'un petit nez qui soutient une paire de lunettes noires légèrement rondes. Aux mouvements de ses mastications, sa mâchoire ressort plus saillante. Mais une veine tressaute sur son front.

     — Avez-vous un problème, Erika ?

Son regard se relève rapidement sur ma personne. Je perds contenance manquant de faire tomber ma fourchette. Une palpitation glaciale traverse ma nuque.

     — Je... Je suis désolée. C'était indiscret de ma part.

     — En effet. Bien que mes parents croient le contraire, je suis tout à fait capable de me gérer tout seul. Mais enfin soit. S'ils sont rassurés d'envoyer une baby-sitter éblouie par le luxe et l'argent, je suis heureux pour eux.

La dureté de ses mots tend tous mes muscles. Il m'a coupé l'appétit en une seconde. Je dépose mes couverts puis je me lève de mon siège. Si elle m'avait dit qu'il était sec dans ses paroles, je pense que je me serais abstenue de venir.

L'ombre de FelixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant