• Chapitre 15 •

77 11 2
                                    

Idiote comme question, je dirai. Quel patient qui vient de goûter à la liberté récemment n'aurait pas peur de revenir à la clinique ? Je prends un risque en lui demandant. Il pourrait se braquer, voire s'énerver. Mais ma curiosité est mon plus vilain défaut.

— Oh mon Dieu !

La voix criarde d'une jeune femme détruit l'harmonie des notes de musique que les violonistes s'efforçaient de jouer à la perfection. Aussi radieuse qu'une plage chaude d'un été brûlant, une belle brune s'avance de ses talons laqués dans notre direction. Je me fais violence pour tenter de garder un visage neutre, en vain.

— Erika, ma belle ! Quelle joie de te voir ! s'écrie-t-elle d'un grand sourire.

— Qui est-ce ? me demande Felix, visiblement ennuyé par cette nouvelle apparition.

— Oh ! Que je suis mal élevée ! Bonjour ! dit-elle en attrapant la main de mon patient. Je m'appelle Garance. Je suis une amie d'enfance d'Erika. Excusez-moi de vous avoir interrompu. J'espère que ce n'était pas un rendez-vous galant ! Si ?

Professionnel, Erika. Professionnel.

— Non, pas du tout. Nous sommes en visite pour le travail.

— Je vois. Mais vous savez... !

— Felix, je la coupe brutalement, ignorant complètement sa présence. J'aimerais m'entretenir avec mon amie un moment.

Il hoche la tête et je me dirige de suite à l'extérieur sous les regards des clients qui me fixent telle une criminelle qui aurait assassiné leur repas. À l'abri de leurs vues, je m'arrête devant une petite boutique de babioles à fin relaxante. Garance me sourit d'un air innocent, ce qui m'irrite encore plus que je ne le suis déjà.

— Erika...

— Pourquoi es-tu là ? Comment m'as-tu retrouvée ?

Bien que le vent nous enveloppe très fort, le silence qui s'impose est bien plus glacial. Sans surprise, le coin de ses lèvres rosées s'affaisse alors que la joie de ses iris noisette s'atténue en quelques secondes.

— Je suis venue manger. Qu'est-ce que tu penses que je vais faire dans un restaurant, Erika ?

— Non, tu n'as pas fait trois heures de route pour venir manger dans un restaurant.

Elle roule des yeux puis jette un coup d'œil dans la rue comme si une personne l'attendait. Je la connais suffisamment pour savoir que sa présence à Miatory n'est pas anodine. Quelques jours avant mon départ, elle m'a clairement fait comprendre qu'elle n'avait pas cette ville dans son cœur. Alors manger ici ? Laissez-moi rire...

— Ta mère a de nouveau été hospitalisée, soupire-t-elle.

L'annonce est directe. Je reste muette. Qu'est-ce que je peux dire ? Cela dure depuis plusieurs années. Je ne peux rien y faire. C'est peut-être cru de ma part mais après avoir passé plusieurs nuits à ses côtés à la voir souffrir, j'ai arrêté de pleurer. Est-ce que la douleur diminue à force de la côtoyer ? Je n'en ai aucune idée. Cependant, je ne ressens plus rien comme si j'étais immunisée.

— Garance, je...

— S'il te plaît ! Ne me dis pas que tu n'as pas, ne serait-ce, une once de compassion ou de tristesse ?

— En quoi ça te regarde, de toute façon ? C'est ma mère, pas la tienne.

Elle me dévisage la colère recouvrant son regard doux. Je l'accorde. Dis ainsi, je passe pour une gamine. Mais elle commence à m'exaspérer. Il y a encore trois ans, elle ne faisait pas attention à ma vie. Si elle se sent coupable, elle doit arrêter. Ce n'est pas de sa faute si tout ça est arrivé...

— Erika, comment tu peux dire ça ?

—Laisse-moi... J'ai assez souffert dans cette maison. Je ne veux plus y retourner.

— On parle de ta famille !

— Et on parle aussi de ma santé mentale. Je ne me sentais pas bien. Ok ? J'avais besoin de changer d'air. Je lui ai déjà dit de quitter mon père mais elle refuse. Maintenant, si tu veux bien, j'ai une personne qui m'attend.

Mes mots ne peuvent plus s'effacer et bien que je regrette la froideur de mes paroles, je préfère m'enfuir loin de mon enfance, de mes problèmes et de ma famille. Je suis lâche mais je n'ai pas la force de m'y confronter.

— Je ne pensais pas que la richesse t'intéressait encore, Erika.

Mes pieds se collent contre le bitume alors que sa remarque aiguisée s'infiltre dans mon cœur. Je n'ose pas lui faire face. Ma vue se brouille et je refuse de la laisser croire qu'elle a encore raison sur tout.

— Au revoir, Garance.

Il me faut un effort surhumain pour ne pas pleurer et garder mon sang-froid.

Un serveur m'avertit que Felix devait répondre à un appel important. Pendant un instant, je me suis dit qu'il m'avait peut-être abandonnée mais sa veste soigneusement reposée contre le dos de sa chaise me rassure toujours.

D'ailleurs, deux assiettes sont dressées à notre table. À ma grande surprise, je m'attendais à retrouver un dessert scrupuleusement décoré. Toutefois, je ne vois qu'une pâte épaisse et noire recouverte d'une mousse brune, saupoudrée de morceaux de noix. Pour accompagner, nos verres sont remplis à moitié d'un liquide rouge. À l'odeur, je devine que c'est du raisin.

— Tu es revenue.

Felix a manqué de me faire une crise cardiaque en apparaissant à côté de moi. Il esquisse un très petit sourire espiègle devant ma réaction puis s'installe de nouveau devant moi. Nous entamons notre dessert et je me retiens pour ne pas marmonner de plaisir devant cette bouchée divine. Des souvenirs de mon enfance en été me reviennent. Je me retrouve à table avec mes cousines et ma grand-mère à manger un bon gâteau au chocolat.

Mais cette fois, le croustillant des noix relève le fondant à l'intérieur. Tout est parfait que je suis agréablement surprise de ne pas être dégoûtée après trois bouchées. Habituellement, trop de chocolat me donne la nausée sauf qu'ici, tout est... divin. Je ne peux que sourire.

— Je vois que ça te plaît, dit-il en dégustant quelques cuillères.

— C'est vraiment très bon.

— Il a l'air simple mais il y a un ingrédient particulier qui apporte ce goût spécial.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Secret du chef.

Toute la lourdeur sur mes épaules s'apaise dans cet échange ludique. J'ai l'impression de manger seulement avec un ami. Rien d'autres. Non un patient. Non un PDG. Non un prince des glaces. Juste une personne qui me partage ce qu'il aime. Je le remercie de me permettre d'oublier le temps d'un dîner.




#




Comme on dit, jamais un sans deux, hein ! (Je sais que ce n'est pas la bonne expression... 😩)

Je vous préviens, même si vous avez sûrement dû le remarquer, je suis extrêmement tête en l'air. Mais vraiment. Ça m'ait déjà arrivé d'oublier un rendez-vous médical parce que j'étais trop occupée... Enfin, bref.

J'espère que vous passerez une bonne journée ! ☺️

Quant à Erika, elle ne semblait pas avoir de bonnes journées dans le passé. Quelques petits secrets dévoilés par-ci et un peu de gâteau par-là.

J'espère que cela vous a plu et que vous continuerez à lire ! Merci de votre attention !

L'ombre de FelixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant