• Chapitre 39 •

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Lorsque je rentre dans la salle à manger, je m'arrête à quelques pas de la porte. Felix relève les yeux de son plat. À deux chaises de lui, il y a une cloche, celle qui m'appartient. Ma surprise doit être lisible car il esquisse un bref sourire puis explique :
— Je me disais que tu étais loin. Ce serait peut-être mieux comme ça. On ne serait pas obligé d'élever la voix à chaque fois... pour se parler.

Son mensonge ne marche pas du tout. Premièrement, nous n'avons pas besoin que nos voix se portent. Le silence ne laisse aucun bruit retentir si ce n'est que ceux de nos couverts et de nos mastications. Deuxièmement, nous ne nous échangeons que quelques mots au minimum lorsque nous dînons ensemble. Dernièrement, ses oreilles sont rouges. Je m'approche de la table puis je prends avec précaution le plateau pour le glisser juste à côté de lui.

— Tu aurais pu au moins faire l'effort de penser plus grand.

Il semble vouloir dire quelque chose mais il se ravise. Nous entamons nos repas : deux hamburgers chacun. Le mien est fourré au steak haché, tomates coupées en rondelles, deux tranches de cheddar, cornichons et oignons rouges, le tout accompagné d'une sauce andalouse. Parfait ! Je prends directement une bouchée de ce sandwich bourré de gras. Bon sang que ça m'avait manqué ! Depuis combien de temps n'ai-je pas mangé de fast-food ? Trop longtemps pour m'en rappeler ! Mais mes papilles gustatives ne peuvent pas déguster totalement sous le regard intrigué de mon patient. Je remarque la fourchette et le couteau qu'il tient dans chaque main alors que mes doigts profitent bien de la douceur du pain chaud.

— Ne me dis pas que tu vas manger avec des couverts, Felix ?

Il les dépose immédiatement puis attrape son hamburger avec une appréhension curieuse. Sans une minute, il prend un morceau et mâche longtemps avant de l'avaler. Son regard converge vers moi.

— Quand j'étais à la fac, je ne sortais pas beaucoup avec mes amis. J'ai beaucoup travaillé pour arriver où je suis.

— Tu veux me dire que tu n'as jamais mangé de fast-food de ta vie !?

— Si ! Bien sûr, mais mes parents... nous avions un certain code à respecter.

Ce genre de convenances existe toujours à notre époque ? Je suis surprise mais aussi amusée. Je me demande s'il a déjà profité d'un moment de repos. Avec son trouble, il a dû se battre deux fois plus dur pour construire tout un empire économique. J'ai abandonné mes études. Alors j'ignore ce que cela fait d'avoir réalisé son projet après tant d'années à cultiver un réseau de savoirs et de relations professionnelles. Il est parvenu à atteindre son rêve. Je dois dire que je l'envie un peu.

— Est-ce que tu aimes vraiment manger ça ? demande-t-il alors que de la sauce éclabousse brusquement dans son assiette.

Je ne réponds que par un rire et soudain, un grand sourire se creuse sur ses joues. Il est lumineux, différent. Comment pourrait-il incarner la malice ou la noirceur de cet homme ? Ce n'est pas lui. J'en suis certaine. Dans la carapace qu'il a érigée, il y a un être bon.

— Felix, j'aimerais réclamer mes jours de repos.

— Tes jours de repos ?

— Il est vrai que je travaille bénévolement mais je suis en droit d'avoir des jours de congé.

— D'accord... Je te l'accorde.

Il a accepté si facilement que je parviens à le remercier seulement au bout de quelques secondes. Mais ses traits sont désormais tendus et la ride du lion s'est pointée. Cette excuse est un moyen comme un autre pour m'éloigner et réfléchir à la situation. Mais je ne veux pas laisser Felix seul et puis, le docteur Harris n'est pas au courant de ma décision. Alors il faut que je reste à proximité.

— Bien entendu, je ne peux pas complètement te perdre de vue parce que je me repose.

— Que veux-tu dire ?

— Tu dois m'accompagner.

— Mais je ne peux pas laisser mon travail...

— Transmets-moi les jours où tu es libre.

Il finit par accepter puis nous finissons de manger. Je sais bien que cela le déroute de devoir prendre des congés. Il n'a pas l'air d'être le genre de personne à partir souvent en vacances. Peut-être que nous devrions même quitter le pays ? Ce serait chouette de s'éloigner un peu de Miatory et de respirer un air différent. Ce manoir a une atmosphère très ténébreuse et étouffante que je suis encore surprise d'avoir réussi à tenir un mois dans cet endroit. Le temps est tellement lent et à la fois rapide. Il y a encore quelques semaines, je ne m'attendais pas à avoir une vie aussi mouvementée qu'auparavant. La clinique psychiatrique était toujours rythmée par des événements divers mais j'étais habituée par les aléas de ce quotidien. Il y avait quelque chose de cohérent derrière les actions des malades.

Quand les domestiques ont débarrassé la table et que le majordome est venu rendre la tablette à son employeur, je me décide à quitter la salle à manger. Mais alors que je me dirige vers ma chambre, quelqu'un crie mon prénom. Je me tourne avec surprise pour croiser les yeux de Felix. On dirait qu'il vient de courir au vu de son torse qui bouge très rapidement. Un sourire béat, il s'approche rapidement puis me montre sa tablette où un calendrier affiche une liste de tâches journalières. À cet instant, il ressemble à un enfant. Je hausse un sourcil pour lui demander ce qu'il veut me faire comprendre.

— Mardi, je dois avoir une visioconférence avec des collaborateurs étrangers.

— Oui...?

— Je pourrais les rencontrer, ce qui serait plus bénéfique à l'entreprise. Donc, peut-être que nous pourrions prendre cette occasion pour que tu puisses prendre tes congés.

— Mais tu vas travailler...

— Ce n'est rien. Je prendrais un moment pour te faire visiter la Ville Lumière.

— Est-ce que tu parles de Paris ? Nous allons en France ?!

Il acquiesce de la tête dans un timide sourire. Depuis petite, je rêve de me rendre dans la ville de la Tour Eiffel, de marcher dans les rues à l'architecture haussmannienne et d'admirer la beauté de l'Opéra Garnier. Heureuse, je ne peux pas m'empêcher de prendre Felix dans mes bras. Quand je réalise ce que je viens de faire, je me décale mais ses bras m'enlacent contre lui. Les minutes s'écoulent sans que nous ne bougions d'un centimètre. Ensuite, nous nous détachons et il s'excuse avant de retourner travailler. Quand je me retrouve de nouveau seule, je souffle dans un murmure comme s'il allait l'entendre :
— Tu n'étais pas obligé de t'excuser, Felix.













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Bonsoir !

J'espère que vous allez bien.

Aujourd'hui, je vous offre un chapitre plutôt calme et léger.

Felix est une personne qui s'est refermée drastiquement sur lui-même. Alors Erika est souvent surprise de le découvrir d'une autre manière. J'espère qu'il vous a plu parce que moi, j'ai fondu devant la mignonnerie de ses réactions et de ses gestes 🥺

Erika s'apprête alors à partir en vacances avec son très cher patient. Comment va se passer ce voyage dans la ville qui fait rêver des milliards de personnes dans le monde ? J'ai hâte de le découvrir ! ☺️

J'espère que cela vous a plu et que vous continuerez à lire ! Merci de votre attention !

L'ombre de FelixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant