La colère de Balden lorsqu'il avait appris la nouvelle avait fait trembler les murs de la citadelle d'Agrivia. Les domestiques, pourtant habitués à ses sautes d'humeur, en frissonnaient encore. Un silence de plomb reposait depuis sur la bâtisse, seulement troublé par les pas furtifs des serviteurs assez courageux pour se hasarder à croiser l'héritier du Duc dans les couloirs.
Ils ne risquaient rien, cependant. Balden s'était immédiatement enfermé dans sa suite. Après avoir traversé en trombe la magnifique salle de réception, il avait fait irruption dans sa pièce d'entraînement, intimant d'un grognement au maître d'armes qui polissait les lames de sortir. Celui-ci ne se fit pas prier, et alors que la porte se referma dans un grand fracas, Balden s'empara de son épée préférée.
Il fit quelques torsions du poignet avec un hachoir que la plupart des hommes de l'Impire et même d'ailleurs auraient eu du mal à soulever à deux mains. Puis, poussant un cri de guerre, il fonça sur un des mannequins en paille qui jonchaient la pièce. Il s'affaira ensuite à le taillader, avant de passer au suivant, laissant derrière lui uniquement de la poussière.
Il assénait les coups sans retenue, tentant de se vider l'esprit. Tentant d'oublier que cette garce d'Imperatorina avait décidé de céder devant les beaux yeux d'un Emirouite. Tentant d'oublier que la place de futur Imperator était en train de lui passer sous le nez. Pourtant, il était le seul à être assez digne pour prendre place sur le trône d'argent et de dorures.
Un coup dans le bras du mannequin. Il était le fils aîné du plus puissant Duc de l'Impire de Terranée. Deux coups. Il était le capitaine de la plus grande force armée du pays. Trois coups. Il était le seul héritier en âge d'épouser Solana Litan. Balden était prédestiné par sa naissance à accéder au trône du Duché de Creüse, le plus riche et le plus florissant de tous. Mais il n'était pas de ceux qui se contentaient du titre de Duc. Il avait toujours su qu'il serait Imperator. Il ne pouvait pas se plier à la volonté d'un vieil homme aigri, d'une Imperatorina élevée avec une cuiller d'argent dans la bouche, ou d'un étranger surgissant de nulle part.
Jusqu'à présent, rien n'avait contrarié ce plan. Balden devenait de plus en plus fort, de plus en plus grand. Il avait remporté quelques petites victoires à la tête de l'armée de Creüse contre des barbares venus des Emarats, rien de bien exceptionnel mais il ne pouvait faire mieux avec la politique repliée sur l'Impire d'Earol Litan. Sa renommée, son soutien parmi son peuple, ses qualités, tout le désignait pour siéger sur le trône et commencer une dynastie Agrivides.
Et pourtant, un Emirouite lui volait la place. Alors il s'acharnait sur les mannequins, les réduisait en charpie l'un après l'autre.
— Mon capitaine ? Votre père vous demande.
Balden se retourna pour faire face à l'un de ses officiers. Contre toute attente, cette irruption doucha sa colère et l'aida à retrouver ses esprits. Alors que les autres héritiers des différents Duchés se complaisaient à attendre la mort de leurs parents, Balden se faisait déjà un nom. Le titre de capitaine de l'armée de Creüse, il l'avait gagné à coup de duels acharnés, de soirées passées à se vider de son sang devant son maître d'armes. Il n'était même pas gêné que son sujet le voit baigné de sueur, sa chemise grande ouverte laissant apparaître ses pectoraux lardés de cicatrices. Chacune de ces traces témoignait d'une fois où il avait risqué sa vie pour ses hommes, et ceux-ci le savaient, lui rendant en retour une loyauté allant jusqu'au fanatisme. Balden n'était pas qu'un prétendant au trône rayé de la liste. Et il allait le faire savoir.
— Je te suis, asséna-t-il d'une voix saccadée par l'effort qu'il venait de fournir.
Et, sans prendre la peine de se rhabiller, il alla voir son père. Sur le chemin, Balden croisa plusieurs nobles creüsois. Il ne leur accorda pas un regard alors que ceux-ci, scandalisés par son apparence négligée, ne pouvaient manquer de frémir devant l'aura de puissance qui s'échappait de l'héritier. Balden était dangereux, et il lui plaisait que tous le sachent, alliés comme ennemis. On ne peut jamais savoir quand l'un deviendra l'autre. Alors il carrait ses épaules musclées et rejetait ses longues tresses brunes en arrière, refusant de se cacher.
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Imperator
FantasyUne tour dont la puissance ne voit jamais le jour, Une reine qui préserve son peuple de la peine, Un cavalier par son devoir et son amour tiraillé, Un pion auquel personne ne prête attention, Un roi plus faible que l'on ne le croit, Un fou à la rech...