Pour la deuxième fois en même pas un mois, Balden enrageait seul dans sa chambre. Seulement, si une journée avait suffit à le calmer lors de l'annonce du mariage de l'Imperatorina, celle de ses propres fiançailles le tenait éveillé depuis déjà une semaine.
Jamais encore il n'avait été furieux aussi longtemps. Habituellement, au bout de quelques heures, Chiara le sortait de son isolement, ou alors son père le faisait mander et il regagnait son calme. Cette fois-ci, sa sœur avait senti qu'il valait mieux le laisser seul et il ne répondait pas aux demandes d'entretien du Duc.
Son père, qui avait osé le promettre à Wyn Dove. Rien que d'y penser, il avait envie de détruire les murs de sa suite. Pour Balden, une Dove était encore pire qu'une servante. Au moins une soubrette aurait été creüsoise. Il ne pouvait concevoir d'appartenir au Duché des Caribes.
De toutes les familles régnantes, la lignée Dove était la pire. C'était ce qu'apprenaient tous les enfants de l'Impire dès qu'ils étaient en âge de comprendre les paroles de leurs aînés. Balden connaissait bien cette mythologie. Au départ, il n'y avait qu'un bout de terre infertile. Étaient alors arrivés les quatre fondateurs, des familles Agrivides, Hakeat, Wultur et Polson, chacun doté d'un pouvoir dépassant l'entendement. Ils avaient fondé l'Impire, posant les bases de la société actuelle, et séparant le territoire en quatre Duchés. L'île de Litanie était restée un sanctuaire de la toute-puissante Déesse Solis. Les descendants de ces demi-Dieux leur avaient succédé et, au fur et à mesure que leur sang se diluait et que leurs pouvoirs déclinaient, la paix s'instaurait dans l'Impire.
Puis il y eut la Première Guerre. Les Ducs de l'époque avaient oublié le rêve d'unité de leurs aïeux, et laissé leur envie de pouvoir ronger l'importance qu'ils accordaient au bien-être de leurs peuples. Les chants et les tapisseries qui relataient cette guerre étaient rouges de sang et de cris. Après des décennies, les Ducs se calmèrent et, en gage de l'unité de l'Impire, une famille roturière qui n'était pas issue des quatre fondateurs et qui n'avait ainsi aucune raison d'être dévorée par l'ambition fut placée - grâce au soutien des Agrivides - sur un trône en Litanie.
Si Balden avait pu choisir le destin de l'Impire, les choses seraient restées ainsi, les cinq Duchés en harmonie, la famille Litan soumise aux Agrivides. Mais évidemment, la paix ne dure jamais longtemps et l'Impire bascula dans la Deuxième Guerre. Plus qu'une guerre, ce fut une révolte des marins de la côte occidentale de l'Impire. Personne ne se rappelle vraiment ce qui avait déclenché le mécontentement, peut-être un nouvel impôt, ou une arrestation un peu trop arbitraire. Ce qui avait commencé comme un mouvement de protestation devint bientôt une lutte pour la liberté et, forcé de l'accepter, l'Imperator de l'époque avait proclamé l'indépendance des Caribes.
Cela n'aurait pas été si grave si les insurgés avaient écouté les conseils du souverain et mis sur le trône un fils Agrivides ou Polson. Malheureusement, il firent une chose impensable, pour la première et dernière fois de l'histoire de l'Impire. Ils élirent un des leurs comme leur Duc. Le premier représentant de la lignée des Dove n'avait aucune légitimité, aucun pouvoir, aucune goutte de sang des fondateurs. Lui et ses descendants, jusqu'à Nethe et Wyn, étaient des imposteurs qui n'arrivaient à se maintenir au pouvoir que grâce à la richesse que le commerce maritime leur apportait. Balden s'était toujours dit qu'il les punirait de leur arrogance. Il ne pouvait concevoir l'idée d'entrer dans leur famille.
Famille. Le mot le débectait. Il pensait en avoir une, et elle l'avait poignardé dans le dos. Son père l'avait vendu à ces rats de mer, sûrement conseillé par la misérable chose qui se prétendait son frère. Famille. Il allait bientôt en fonder une avec une femme qu'il méprisait, forcé de rester silencieux alors que la vermine infiltrait toute sa vie, jusqu'à sa belle cité d'Agrivia.
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Imperator
FantasyUne tour dont la puissance ne voit jamais le jour, Une reine qui préserve son peuple de la peine, Un cavalier par son devoir et son amour tiraillé, Un pion auquel personne ne prête attention, Un roi plus faible que l'on ne le croit, Un fou à la rech...