Valana ne comprenait pas. Enfin, d'après Léandre, elle ne voulait pas comprendre. Elle aurait dû se douter que son frère avait changé, que toutes ces années chez les Litan avaient enfoui l'âme du petit garçon qu'elle avait connu sous une froide et implacable loyauté. Mais elle n'était pas arrivée à s'en persuader, demandant constamment de ses nouvelles aux espions qui revenaient de Solis, restant les yeux ouverts jusqu'à tard dans la nuit, à se demander comment s'était passée sa journée.
Le revoir avait été un coup de poignard dans son coeur encore trop tendre. La froideur de ses yeux quand il la regardait. La dureté de ses poings. Le goût du sang qu'il avait fait couler dans sa bouche, ce sang qui coulait pourtant aussi dans ses veines.
Valana avait toujours été la guerrière des deux. L'impitoyable. La violente. L'aînée. Celle que ses parents voulaient transformer en lame si fine qu'elle percerait des milliers de trous dans les murailles de la ville maudite des Litans. Lorsqu'elle revenait de ces "entraînements", les mains couvertes d'hémoglobine, des nuages d'un noir d'orage dans les yeux, Agape la prenait dans ses bras et lui jurait qu'il l'aiderait toujours à retrouver le chemin de la lumière. Quand avait-il cessé de croire en elle ? Quand l'avait-il considérée comme incurable, préférant se tourner vers la brillance du soleil quitte à se brûler les yeux ?
— Il y a bien longtemps, lorsqu'il a décidé de s'enfuir de Sevada. Il était temps que tu le comprennes enfin, et que tu cesses à t'accrocher à celui qui n'hésiterait plus à te planter une lame dans le dos. Agape est devenu l'ennemi, Valana. Et si tu veux toujours renverser les Litans, ce n'est pas la dernière fois que vous vous affrontez.
Valana peinait à marcher. Le poids de son coeur la tirait vers le bas, plus douloureux encore que les entailles ensanglantées sur sa peau de neige. Comme tous ceux qui mettaient un pied sur l'échiquier politique de l'Impire, elle savait que les sentiments étaient dangereux. Qu'ils pouvaient briser aussi sûrement que des massues. Elle avait voulu écouter les légendes, croire qu'ils pouvaient également guérir, qu'ils pouvaient également constituer une raison de vivre. Mais le combat l'avait sortie de ses illusions. Il était temps qu'elle devienne aussi impitoyable qu'elle prétendait l'être.
— Vas-tu vraiment renoncer à tout sentiment ?
Le visage doux de Balden s'imposa dans son esprit. Ses yeux noisette qui la regardaient comme si elle était la seule qu'ils voyaient. Son sourire qui faisait bouillir le sang dans ses veines. Une fois qu'elle lui aurait annoncé qu'elle avait manqué sa cible, il ne voudrait plus d'elle. Et elle serait libérée de toutes ses chaînes.
Elle s'appuya contre un mur, manquant de tomber. Il fallait d'abord qu'elle réussisse à sortir du palais. Agape l'avait laissée partir, peut-être un dernier présent en souvenir d'un temps où ils riaient tous les deux, allongés sur la mousse qui tapissait le sol des cavernes. Mais elle n'était plus dupe.
Le plan initial, c'était qu'elle sorte comme elle était entrée. Déguisée en artiste des Oiseaux du Désert, troupe de cirque cachant en réalité un groupe d'espions à la solde de Sevada. Mais elle ne pouvait pas rejoindre le rendez-vous dans les écuries, tremblante et en train de se vider de son sang. Elle devait trouver un autre moyen.
Heureusement, Valana ne connaissait pas le mot panique. Les années d'épreuves en tout genre auxquelles l'avaient soumise ses parents lui avaient appris au moins une chose. Inspiration, expiration et réflexion. Le temps de l'angoisse, de la tristesse et de la peur viendrait après. Quand elle serait à l'abri.
Heureusement encore, Valana avait une bonne mémoire. Elle se rappelait de tous les propos de ses espions, ce qui lui permettait d'avoir une vue d'ensemble sur la politique terranéenne. Elle se rappelait notamment de l'expression de son infiltrée à Solis lorsqu'elle avait mentionné les rumeurs de la construction de passerelles surplombant les rues de la ville saturées, ponts aériens qui se rejoindraient en un même point. Le coeur battant de la ville. Le palais Litan.
VOUS LISEZ
Imperator
FantasyUne tour dont la puissance ne voit jamais le jour, Une reine qui préserve son peuple de la peine, Un cavalier par son devoir et son amour tiraillé, Un pion auquel personne ne prête attention, Un roi plus faible que l'on ne le croit, Un fou à la rech...