2.4 ~ Le Cavalier

79 9 159
                                    

    Agape croyait qu'Ai-dan serait son cauchemar. Il se trompait. Le prince s'étant fait éconduire par l'Imperatorina, il ne venait plus embêter Agape. Bien sûr, il n'avait pas lâché Earol Litan d'une semelle et s'était fait un devoir de toujours contredire Solana, mais Agape n'avait plus à faire avec lui. Par contre, il y avait bien un homme qu'il aurait adoré voir disparaître. Ars-lan, le chef des gardes emirouites.

    Agape vivait depuis plusieurs années au sein du palais Litan, et jamais personne n'avait remis en question son grade et son pouvoir, malgré son Duché d'origine, malgré son handicap. Seulement, Ars-lan paraissait vouloir saper son autorité. L'Emirouite gagnait peu à peu du soutien parmi la garde impiriale, qui n'avait jamais parfaitement accepté Agape à sa tête. Il était porteur de changement, et cela attirait aussi bien les nouvelles recrues que les anciens soldats. Tous semblaient oublier qu'Agape s'était battu à leurs côtés, que son sang avait coulé sur le même sable que le leur, alors qu'Ars-lan avait dû apprendre ses passes dans des tentes d'apparat et au côté de professeurs de danse. Il ne pourrait jamais mesurer l'importance d'une vie ou d'une mort.

    Pourtant, de plus en plus des compagnons d'Agape cédaient à l'aura charismatique d'Ars-lan. Il ne comptait plus les gardes qu'il voyait avec le sabre emirouite au lieu de l'épée terranéenne à leur ceinture, et la délégation étrangère n'était là que depuis quelques semaines. Agape comprenait peu à peu que même si Solana arrivait à imposer son autorité face à Ai-dan, cela ne suffirait peut-être pas à préserver la capitale de l'Emar.

    Agape soupira. Il devait aller chercher deux de ses recrues pour leur ordonner d'assurer la garde de nuit qu'il avait instaurée dès son arrivée au palais devant la chambre de l'Imperator. Ce n'était pas sa mesure la plus populaire, loin de là. Et plus les jours avançaient, plus les gardes qu'il choisissait s'opposaient à leur charge.

    En arrivant devant la cantine des soldats, il se raidit. Les rires habituels qui retentissaient dans la salle ne masquaient pas les intonations flûtées de la langue emirouite. Il faillit faire demi-tour, aller chercher deux autres hommes, laisser couler pour cette fois. Mais il était fatigué de perdre du terrain, de faire des concessions, et s'il ne voulait pas perdre la loyauté qui lui restait, s'il voulait être capable de protéger efficacement l'Imperatorina, il devait agir. Il devait confronter Ars-lan.

    L'arrivée d'Agape dans la cantine ne passa pas inaperçue. Tous se turent, et il jouit de cette démonstration de son autorité restante. Évidemment, Ars-lan brisa le moment.

    — Agape ! Es-tu enfin venu lâcher prise quelques instants et t'amuser avec nous ?

    Si Agape avait haï la voix d'Ai-dan, celle d'Ars-lan remuait toute son âme. Jamais n'avait-il ressenti tant de colère contre quelqu'un, pas même contre le prince héritier ou contre ses ennemis alors qu'ils massacraient ses compagnons au combat. Non, cette colère si froide, si lourde, était réservée au chef des soldats emirouites. Et Agape s'en réjouissait. Il savait que cette colère pouvait le rendre plus fort.

    — Clemente, Iago, asséna-t-il en ignorant la pique. Vous êtes de garde cette nuit.

    Agape espérait presque qu'ils lui répondent, même si c'était pour protester. Mais le silence s'étira, et il sut sans avoir besoin de les voir que les deux hommes s'étaient tournés instinctivement vers Ars-lan. Il pouvait imaginer un sourire étirer les lèvres de l'homme, alors qu'il ne savait pas à quoi il ressemblait.

    — Il semblerait que plusieurs d'entre tes gardes pensent que cette veille de nuit n'est pas très utile. Peut-être serait-il temps d'abolir cette mesure dictée par la paranoïa. Tu es au milieu du palais Litan, Agape, pas sur ton champ de bataille.

ImperatorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant