Chapitre 23

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Lexa

   Je n'ai aucune envie de rentrer chez moi. J'attends que Clarke disparaisse derrière sa porte d'entrée. Elle me fait un dernier signe avant de refermer derrière elle. J'ai le cafard, elle me manque déjà. Je n'arrive pas à y croire, nous ne sommes ensemble que depuis quelques heures et je me sens comme purifiée, capable d'oublier ce qui a pu me salir. J'aimerais que ce ne soit pas une utopie, j'aimerais que cet espoir ne soit pas feint, mais j'ai la certitude que ce mirage ne va pas tarder à s'évaporer.

    Cette porte fermée, toutes mes espérances s'envolent. Enfantillage et féerie n'ont jamais existé. Ma réalité accablante me revient de plein fouet. Je dois me contenter de quelques minutes de sérénité parmi une éternité de souffrance. Je serais prête à tout pour grappiller des secondes supplémentaires avec elle. Car ces quelques secondes sont mon nouvel havre de paix, mon instant de légèreté et j'ai enfin le sentiment de vivre vraiment. Pas simplement pour vivre au jour le jour, mais pour profiter de chaque instant de bonheur qu'elle peut m'apporter. Je ne sais pas si notre histoire durera. C'est pour cette raison que j'essaie de ne pas trop réfléchir. Je me sens prête. Je ne peux pas l'expliquer, mais avec Clarke, je me sens en confiance et que peu importe le déroulement des choses, tout ira bien. Elle est ma lumière au fin fond du tunnel. Elle est mon âme sœur. L'expectation qu'il me fallait.

    A contre cœur, je rentre à la maison. Ça n'a rien avoir là-bas. Je sais à quoi m'attendre et j'espère fortement que ce n'est pas l'un de ces jours, je le crains plus que tout.

    Mon existence est dirigée par les humeur de mon beau-père. Je suis cloitrée dans la même spirale, les mêmes cauchemars. Je n'ai pas connu un moment de répit avant de rencontrer Clarke. Il faut que j'encaisse les coups sans rien dire, me contenter des choix désastreux de ma mère en terme de mec. C'est une malédiction, mon existence paie les frais de ses mauvais choix. Indirectement, ma mère m'a fait vivre les pires choses. Comment voulez-vous avoir la foi après tout ça ? Où peut-être qu'il existe vraiment et que pour compenser, il a fait en sorte que je rencontre Clarke. Mon phare au milieu de la nuit. J'aimerais partir à l'autre bout de la terre, partir sur les routes, voir d'autres cultures avec elle. Je ferais tout pour quitter la région. Tout est si douloureux. Mais peut-être que Clarke est ma façon à moi de m'évader. Je n'ai pas envie de la perdre.

    Ma mère est dans la cuisine quand je rentre à la maison. Elle fait le dîner. Je sais que je devrais avoir une conversation avec elle. Je sais que c'est inévitable. Je m'accoude sur l'îlot central, attendant qu'elle m'accorde une quelconque attention. Je sens la gêne planer autour de nous. J'aimerais que les choses soient plus faciles pour elle, je voudrais qu'elle soit heureuse, ne plus la voir porter toutes cette culpabilité sur ces épaules. Malheureusement le mal est fait. Je suis à tout jamais brisée et rien ne peux y changer. Ce n'est pas elle la fautive, mais indirectement, elle y mêlée. C'est ma mère, elle est censée me protéger. C'est ce qu'on appelle l'instinct maternel. Je sais qu'elle m'aime. Néanmoins, parfois, ça ne suffit pas. Ainsi, même si le passé reste du passé, le présent, lui, peut encore être changé. Je ne serais pas éternellement une victime.

- Tu rentres tard. J'ai fait ton plat préféré. Tu as passé une bonne journée avec ton amie ?

- La meilleure depuis longtemps. Et juste à titre informatif, Clarke n'est pas qu'une simple amie, c'est ma petite amie.

    Je préfère lui dire la vérité. Elle ne laisse rien paraître. Je suppose qu'elle n'y porte pas plus d'importance. Peut-être qu'à ses yeux, cela était inévitable. Autant éviter de tourner autour du pot, passer la partie je crois que j'aime les filles, ça nous fait gagner un temps fou.

- Est-ce que tu lui as dit ?

    Toujours la même rengaine. Secret de famille.

- Non.

    Ma mère redouble d'effort derrière les fourneaux, elle mélange énergétiquement le contenu de la casserole, le liquide se moue dans un cercle parfait comme si un tourbillon aspirait tout en son centre. Elle est contrariée. Je ne pourrais pas dire pour quelle raison, mais la tension dans ces épaules en est la preuve.

- Tu comptes lui en parler ?

    On y est, la partie du « Ce n'est pas une bonne idée ». Je fais les cent pas dans la cuisine. Je n'ai pas envie d'en parler et surtout pas aujourd'hui.

- Maman, stop, je n'ai pas envie de parler de ça. C'est quoi qui te tracasses exactement ? Que je sois avec une fille ? Que je lui parle de notre lugubre histoire familiale ? Je le lui en parlerais en temps voulu. Il y a que comme ça qu'elle pourra comprendre.

- Je ne veux que ton bonheur, fille ou garçon, ça n'a aucune importance. Mais tout lui dire serait une très grosse erreur. Elle ne peut pas comprendre, dit-elle avec effroi.

    Son allusion me trouble. Est-ce qu'elle a honte de moi ? Où de lui ? Moi je croyais qu'elle voulait me protéger. Tout se brouille dans ma tête. La frontière entre la vérité et le mensonge. Ma mère veut que je cache la réalité, faire comme si tout est normal. Je ne suis pas d'accord. Je vis avec parce que je n'ai pas le choix, mais je ne l'accepte pas.

- C'est vraiment ça qui te fait peur, où c'est qu'elle nous juge ? je ne compte pas lui dire tout de suite, ça risque de la faire fuir. Je ne peux pas lui imposer mes démons ! affirmé-je.

- Je ne veux pas que tu souffres !

    Les mots se libèrent naturellement.

- C'est trop tard pour ça.

    Ma mère se retourne, contourne le plan de travail et se poste devant moi. Elle me prend mes mains dans les siennes, les yeux embués de larmes. Je sais qu'elle se sent coupable. Il faudrait que tout s'efface, mais ce n'est pas possible.

- Je suis tellement désolée, ma chérie. J'ai failli à ma tâche, je n'ai pas réussi à te protéger. Tu as subi trop d'horreur. J'aurais dû voir ce qui se...

- Stop ! te flageller ne m'aide pas, la coupé-je. C'est maintenant que j'ai besoin de toi.

- Je fais de mon mieux, si je ne veux pas que tu parles, c'est justement pour te protéger des autres. Je ne veux pas qu'elle te brise le cœur en refusant d'accepter la réalité. Omettre la vérité n'est pas une fatalité, c'est une façon quelconque de protéger votre relation.

- Clarke n'est pas comme ça. J'entends ce que tu me dis, mais à la longue, je finirais par la perdre. La moindre des choses, c'est d'être honnête avec elle. C'est la seule solution pour qu'elle comprenne pourquoi je suis comme je suis.

- Réfléchie-bien, avant que tout cela n'aille trop loin. Tu sais que je veux seulement que tu sois heureuse. Je ne veux pas que tu vives quoi que ce soit d'autre de douloureux.

- Ça n'arrivera pas, Clarke... elle... Elle est merveilleuse.

- Je n'en doute pas, d'après ce que j'en ai vu, elle en a l'air. Si tu tiens vraiment à elle, tu prendras la bonne décision.

Si je tiens vraiment à elle ? Tu n'as même pas idée !

- Il n'y aura pas de retour en arrière. Si elle t'aime, elle t'acceptera comme tu es, sinon c'est qu'elle n'est pas celle qui te faut. Tu peux m'aider et mettre la table avant que ton beau-père ne rentre.

    Ma mère se penche et me prend dans ces bras. Je m'abandonne à son étreinte. Quoi qu'elle dise, je me sens en sécurité, dans ses bras. Il me suffit d'un seul câlin de sa part, pour que je me sente automatiquement apaisée. J'aimerais que ses bras aient le pouvoir de tout effacer. Elle a raison d'une certaine manière, quand elle dit que Clarke peut me voir d'une autre façon. Le plus dur est à venir. Parler de moi a toujours été difficile. Notre relation ne fait que commencer et pourtant j'ai une peur bleue de la perdre. Je ne veux pas l'effrayer et je ne veux pas susciter sa pitié non plus. Jouer la nonchalance me semble impossible avec elle. Je veux simplement que Clarke comprenne ce que je vis au quotidien et ce que cela implique pour elle. Je ne veux pas qu'elle se sente coincée dans un supplice qui n'est pas le sien. Que la colère prenne part d'elle et qu'elle s'imagine pouvoir me sauver. Je préfère me taire pour l'instant et profiter des bons moments, tant que possible. Voir son si beau sourire disparaître m'est insupportable.

âmes égalesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant