Chapitre 1

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Chapitre 1 :
Comté d'Ulster , État de New-York

Pour un vieil homme proche de la fin , Frédéric Seidel respirait la gaieté, songeait Lisa en conduisant. A la radio passait une émission particulièrement inepte,《 Potes & Folk 》, une heure d'élucubrations à bâtons rompus que Frédéric trouvait désopilante. Il avait un rire bien particulier,communicatif , qui semblait émaner de son plexus solaire et irradier vers l'extérieur. C'était d'abord une douce vibration qui allait crescendo, jusqu’à devenir l'expression sonore d'une joie sans mélange. L'émission de radio n'était pas seule responsable de la gaieté de Frédéric. Il venait d'apprendre que son petit-fils rentrait au pays après une période de service en Afghanistan, et cette nouvelle ajoutait a sa bonne humeur. Le vieil homme s'attendait à des retrouvailles imminente.
Et le plus tôt serait le mieux, estimait Lisa , dans leur intérêt à tous les deux.

- J'ai vraiment hâte de revoir David, dit Frédéric. C'est mon petits-fils. Il vient d'être démobilisé ; normalement, il doit faire route vers les États-Unis.
- Je suis sûre qu'il viendra vous voir directement, affrima-t-elle , feignant d'oublier qu'il lui avait déjà dit la même chose une heure auparavant.

Avec la vitesse, le feuillage printanier se fondait en une traîner de couleur __ le vert tendre des premières feuilles, les trompettes jaunes des jonquilles, les somptueux roses et poupres des fleurs des champs en bord de route .

Frédéric songeait-il que c'était là son dernier printemps ? Quand ses patients ruminaient ce genre d'idées noires __ la finalité de toute chose __ , leur tristesse lui était parfois presque insupportable . Mais pour l'instant, le visage de Frédéric ne reflétait ni angoisse ni souffrance.  Ils se connaissaient depuis peu , mais déjà elle pressentait qu'il allait être un patients des plus agréables.
Vêtu d'un polo de golf et d'un pantalon au pli élégant, il ressemblait à n'importe quel gentleman fortuné , délaissant la grande ville pour aller passer quelques semaines de villégiature à la campagne. A présent qu'il avait cessé tout traitement, ses cheveux repoussaient ; ils étaient d'un blanc neigeux, brillant. Pour le moment, il avait très bonne mine .
Dans son métier d'infirmière particulière, spécialisée dans les soins palliatifs pour patients en phase terminale, elle rencontrait toutes sortes de personnes __ ainsi que leur famille. Car même si le patient polarisait toute son attention, il était toujours entouré d'une cohorte de parents. Jusqu'ici, elle n'avait pas vu un seul membre de la famille de Frédéric : ses fils vivaient très loin d'ici . Elle était en tête à tête avec lui .

Le vieil homme paraissait tendu vers un but bien précis et animé d'une ferme résolution. Jusqu'à présent, il affirmait ne pas souffrir.
Elle désigna le carnet qu'il tenait ouvert sur ses genoux et dont les pages étaient couvertes d'une écriture à l'ancienne, en pattes de mouche .
- vous avez beaucoup travaillé, dites-moi.
- J'ai dressé une liste de choses à faire . C'est une bonne idée, d'après vous ?
- Excellente , Frédéric.  Nous avons tous une liste de chose à faire , mais souvent nous nous contentons de la garder là-dedans, répondit-elle en se tapotant la tempe de l'index.
-Oh , moi , ces derniers temps , je ne peux plus me fier à ma tête.

C'était une référence indirecte à la maladie qui le rongeait implacablement __ un glioblastome multiforme , un type de cancer incurable.
- C'est pourquoi, j'ai pris l'habitude de tout noter .
Il feuilleta les pages du carnet.
- La liste est longue , ajouta-t-il , presque sur un ton d'excuse . Nous ne pourrons peut-être pas en venir à bout .
- A l'impossible nul n'est tenu . Mais on fera le maximum, je vous y aiderai . Je suis la pour ça.

Elle balaya l'horizon du regard, peu habituée aux autoroutes de campagne . Pour elle qui ne connaissait que le marasme urbain du New Jersey et l'effervescence polluée de suie de Manhattan , la moyenne montagne du comté d'Ulster , avec ses collines boisées et ses crêtes rocheuses, lui faisait l'effet d'un paysage extraterrestre.
- ce n'est pas plus mal d'avoir trop de choses à faire , lui fit-elle remarquer. Comme ca , vous ne risquez pas de vous ennuyer .
Frédéric eut un petit rire .
- en ce cas , nous sommes partis pour un été bien rempli !
- nous sommes partis pour l'été que vous souhaiterez .
Il soupira en parcourant les pages .
- Dommage qu'il m'ait fallu apprendre que j'allais mourir pour penser à tous ça....
- Nous allons tous mourir.
- Ah , c'est bien ma chance ! Qu'est ce que j'ai fait pour écoper d'une garde malade au naturel aussi enjoué ?
- Une personne enjoué vous aurait tapé sur les nerfs , j'en mettrais ma main à couper.

L'été des secrets Où les histoires vivent. Découvrez maintenant