chapitre 11

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Chapitre 11

Plutôt que de l'appeler, David avait décidé de se présenter directement chez le frère de grand-père. Ce genre d'approche rendrait toute rebuffade plus difficile pour difficile pour le type en question - Claude. En outre , pourquoi le nier , il était curieux de voir la tête qu'avait son grand-oncle. On venait de lui révéler l'existence d'une branche de sa famille qui lui était totalement inconnue, alors, il ne pouvait qu'être curieux. Plein d'espoir, aussi . Ce fameux frère rendrait peut-être à grand-père l'envie de se battre contre la mort .
De nouveau, il vérifia l'adresse et roula le long des rues bordées d'arbres d'Avalon. Son esprit vagabondait du côté de Lisa Plenske. Cela lui arrivait de plus en plus souvent. Ce baiser au bord du lac avait été empreint d'une magie inattendue. Certes, l'effet aurait peut-être été le même avec n'importe qui- après tout , c'était la première femme qu'il embrassait depuis son retour à la vie civile.  Forcément, cela lui conférait un statut à part. Mais comment expliquer l'attirance irrésistible qu'il éprouvait pour elle ?
Normalement, il n'aurait pas dû la trouver sympathique. Devant grand-père, il avait juré ses grands dieux que jamais il ne tomberait amoureux d'elle . En revanche, comme ce dernier l'avait prévu , elle l'intriguait . Et , pour parler franchement, elle excitait . A tort ou à raison, il était loin d'en avoir fini avec elle.
Mais trêve de tout cela ! David fit appel à toutes sa volonté : il fallait rester concentré sur sa tâche . Aujourd'hui, sa mission concernait grand-père.
La veille, apres leur séance de pêche à la mouche , il avait fouillé avec Lisa les rayons bien garnis de la bibliothèque du camp . En feuilletant de vieux albums rassemblant photographies et coupures de journaux, ils avaient vous récolté des tas de renseignements sur Claude Seidel . En 1956 , celui-ci s'était marié avec Laura , la fille du propriétaire du Camp Kioga . Le couple avait ensuite partagé son temps entre New-York et Avalon, et élevé quatre enfants- deux garçons et deux filles. Depuis peu , Claude et son épouse s'étaient fixés définitivement à Avalon, où ils avaient acheté une maison l'année précédente.
Le quartier était ancien et cossu , composé de demeures agréables sans être ostentatoires . On y voyait des vérandas ornées de suspensions florales et des allées bien ratissées ; la rue était ponctuée de panneaux 《 attention, enfants 》 . De l'extérieur, la maison avait l'air confortable et coquette , et une plaque la signalait comme faisant partie du patrimoine historique de la ville.  En dessous du numéro, le nom de la famille qui l'habitait était gravé dans le cuivre : 《 Seidel. 》Bien que ce patronyme ne fut pas rare , David trouvait assez déconcertant que les inconnus qui vivaient là soient des parents à lui . Il redressa les épaules, s'éclaircit la voix , appuya sur la sonnette... et s'arma de courage en vue du pénible entretien qui l'attendait.
Que n'aurait-il pas donné pour être ailleurs ! Ah , si , seulement la situation avait pu être différente...
Que diable allait-il raconter à ce type ? Comment formulait-on ce genre d'annonce ? Qu'est-ce que ...
La porte s'ouvrit à toute volée.
- oui ? Je peut vous aider ?
C'était un adolescent, un lycéen sans doute, blond , les yeux clairs et vêtu d'un t-shirt des Yankees.
David hésita . Peut-être s'était-il trompé de maison . Sauf qu'il y avait chez ce gamin quelque chose d'étrangement familier, un air de ressemblance indirecte. Dans une pièce au-delà de l'entrée, d'autres jeunes jouaient au Wii Golf sur une télévision à écran plat . Question jeux vidéo, David en connaissait un rayon pour y avoir joué des heures à l'étranger, accumulant voitures volées et points de bonus entre les sorties aériennes et les missions de sauvetage.
Il se jeta à l'eau :
- Bonjour, je cherche M.Claude Seidel . Est-ce qu'il est là ?
- Je vais voir si je peux le trouver , répondit le jeune garçon.
Au même moment, une voix de femme s'éleva :
- Max ? Qui a sonné ?
- Quelqu'un pour grand-père, cria le dénommé Max par-dessus son épaule.
Grand-père. Les petits-enfants de Claude l'appelaient 《 grand-père 》, eux aussi.
Derrière l'adolescent, David distinguait un porte-manteau chargé de blousons et de casquettes , un porte-parapluie et une table . Le mur était décoré de photos encadrées : des individus souriant posaient près du lac, sur une piste de ski , ou dans un décor indéterminé qui pour eux revêtait sans doute une grande importance. Ces gens étaient peut-être ses tantes , ses oncles et ces cousins....
Couché sur une marche d'escalier recouverte de moquette , les pattes avant glissées sous son corps, un chat roux remuait calmement sa queue au pelage fourni.
Une femme aux cheveux blancs entra dans le vestibule en s'essuyant les mains à une serviette à thé. Elle dévisagea David d'un air curieux.
- Oui ?
Il s'aperçut avec gêne qu'il se tenait quasiment au garde-à-vous sous la véranda.
- Mme Seidel ?
- C'est moi-même.
Elle inclina la tête sur le côté et la lumière se refléta sur ses verres de lunettes. Peut-être lui trouvait-elle un air de famille. Est-ce qu'il ressemblait à grand-père ? Certaines personnes prétendaient que oui .
- Pardon de vous déranger, madame. Mon nom est David Seidel. Je suis le petit-fils de Frédéric Seidel.
La serviette glissa des mains de la vieille dame . L'espace d'une seconde, son visage se décomposa sous l'effet du choc . Ni elle ni lui n'esquissèrent le geste de ramasser la serviette. D'une main , elle s'appuya à la table comme pour ne pas tomber. David ne s'attendait à aucune réaction en particulier, mais jamais il n'aurait imaginé devoir affronter cette vulnérabilité teintée de souffrance. Et d'autre chose encore . De crainte ? Mais cette femme n'avait rien à crainte.
- Mon intention n'était pas de vous surprendre , dit-il très vite . Puis-je entrer ?
- Oh...Oh , mais certainement . A propos , je m'appelle Laura .
Mais cela , David l'avait déjà deviné. Elle s'écarta du passage en précisant :
- Laura Seidel. Oui , je vous en prie , entrez donc .
Grand-père s'était demandé à voix haute si le mariage de son frère avait survécu à l'usure du temps. Apparemment, la réponse était oui . David avait souvent regretté que le mariage de son grand-père n'ait pas été plus heureux. Lui et 《 Granny Jack 》 - c'était le nom qu'avec ses cousins, il donnait à leur grand-mère- avaient mené une vie mouvementée, pleine de charme et d'insouciance. Mais la perte de leur fils les avait affectés de façon différente et , à partir de là, leurs chemins s'étaient séparés, chacun tentant à sa manière de surmonter cette tragédie.
David n'était lui-même qu'un enfant à l'époque, traumatisé par son propre chagrin, mais il se rendait bien compte que le couplé de ses grands-parents se détériorait peu à peu à l'épreuve du deuil . Ils n'avaient jamais été jusqu'au divorce, mais sur la fin , chacun menait sa vie de son côté. La façon dont Granny Jack avait trouvé la mort en compagnie de son amant avait été un choc pour tout le monde - sauf peut-être pour grand-père.
- Allons... euh ... allons nous asseoir .
Laura Seidel lui indiqua une pièce de l'autre côté de l'entrée.
- Merci.
David se baissa pour ramasser la serviette à thé et la lui tendit .
Laura Seidel le conduisit jusqu'à une verrière donnant sur le jardin bien entretenu, loin du vacarme que faisait son petit-fils en jouant sur la wii.
- Ainsi donc , Frédéric est ... Il s'est passé quelque chose ?
Elle se tenait très droite , comme pour affronter une mauvaise nouvelle.
- Grand-père est à Avalon . Il a loué un cottage au Camp Kioga .
- Bonté divine ! J'aurais dû m'en douter . Renée, la directrice d'hébergement, à bien mentionné qu'un certain M.Seidel avait pris une location, mais j'ai pensé qu'il s'agissait d'une coïncidence. Jamais je n'aurais imaginé que Frédéric reviendrait un jour ici . Jamais de la vie .
- Il aimerait revoit son frère.
- Non , jamais je n'aurais pu imaginer une telle chose , répétait Laura .
A cet instant, Claude Seidel entra dans la pièce. David , désorienté, crut , l'espace d'une seconde, voir s'avancer son grand-père - grand , mince, élégant, avec sa masse de cheveux blancs et ses yeux bleus .
- Imaginé quoi ? Demanda-t-il à sa femme .
Sa voix aussi était celle de grand-père.
- Ce jeune homme s'appelle David Seidel, expliqua Laura. C'est le ... Le petit-fils de Frédéric .
Elle prononça le prénom de grand-père d'une voix altérée. Contrairement à son épouse, Claude ne manifesta ni crainte ni vulnérabilité, mais seulement une neutralité bienveillante. Il tendit la main à David.
- Enchanté de faire votre connaissance.
- Frédéric voudrait te voir , poursuivi Laura .
- Quand ? Demanda-t-il abruptement.
- Quand cela vous conviendra , bien sûr, répondit David.
Mais assez rapidement, si c'est possible.
Claude esquissa un bref sourire.
- Très bien , c'est d'accord. Ainsi , mon frère Frédéric désire me voir ... Et il n'aurait pas pu venir ici en personne ?
- Il ne voulait pas vous déranger ni vous mettre dans l'embarras .
David se méfiait du silence de Laura et de la prudente impossibilité qu'affichait Claude . Voilà pourquoi le projet de grand-père n'était pas une bonne idée. Ces gens-là avaient le pouvoir de lui faire du mal.
- Vous comprenez, il voulait vous laisser la possibilité de réfléchir.
Laura et Claude échanger échangèrent un bref regard . Laura détourna les yeux la première et lissa son tablier du plat de la main .
Grand-père avait parlé d'une brouille entre frères, mais la vieille dame semblait plus agitée que son mari .
Claude restait de marbre , à moins qu'il ne fût sincèrement indifférent à la situation.
- Qu'est-ce qui l'a poussé à cette initiative ?
Et pourquoi est-il venu ici ?
Au départ, Frédéric avait bien fait la leçon à David : surtout ne pas supplier . Mais en fin de compte , il était revenu sur sa décision, non sans un brin d'humour noir : 《 Oh , et puis zut , après tout ! Vas-y donc ! Dis-leur carrément que je suis mourant . Ça ne rime à rien de leur cacher la vérité. Après tout , je ne suis pas fier au point de dédaigner jouer la carte de la compassion .》
- Mon grand-père... , commença-t-il. Mon grand-père ne va pas bien .
Mais à sa grande horreur, une boule brûlante se forma dans sa gorge, une montée de larmes qui le prit par surprise.
Depuis le moment où on lui avait appris la maladie de grand-père, il n'avait pas pleuré.  Et maintenant, à cause de ces quelques mots prononcés devant deux inconnus, il était sûr le point de craquer.
- Excusez-moi , murmura-t-il, les yeux rivés au sol , serrant les poings de toutes ses forces.
Il s'obligea à les regarder.
Ressaisit-toi . Ressaisit-toi !
Laura voulut dire quelque chose , mais Claude croisa son regard et , d'un signe de tête quasi imperceptible, la dissuada de parler. Il ressemblait tellement à grand-père que c'en était intolérable. Son frère cadet .... si alerte et si bien portant , alors que grand-père souffrait d'une maladie mortelle, ce n'était pas juste ! Non, ce n'était pas juste .
Il se racla la gorge.
- Le pronostic n'est pas bon , reprit-il d'une voix précipitée . C'est pourquoi, il a choisi ce moment pour vous présenter cette... requête .
Le gros chat roux fit son entrée dans la pièce et s'insinua sans bruit entre les chevilles de David.
Laura prit la parole :
- Laissez-moi vous offrir à boire . J'ai de la citronnade au réfrigérateur.
Elle semblait impatiente de faire quelque chose.
- Merci , répondit-il. De la citronnade, c'est parfait.
Pourvu qu'il puisse la garder .... Ses larmes refoulées lui donnaient la nausée. Le chagrin avait enflé en lui comme un orange invisible, silencieux, et pour une raison inconnue, il avait choisi ce moment précis pour éclater à la surface.
- Nous sommes terriblement désolés , dit Claude. Je comprends que vous devez vivre des moments bien tristes. Frédéric est donc ... Mais alors , il n'est pas à l'hôpital ?
David fit non de la tête.
- Pour le moment, il va très bien. Mais c'est ... temporaire. Il a arrêté son traitement, et je voudrais le persuader de le reprendre. C'est pour ça que j'espère que vous accepterez de le voir le plus vite possible.
Laura se plaqua la main sur la poitrine, comme quelqu'un qui est victime d'une crise cardiaque. Elle luttait pour se donner une contenance, c'était évident.
- Je vais nous chercher à boire , murmura-t-elle.
Et elle se précipita dans la cuisine.
- Si je puis me permettre, demanda Claude , qu'est-ce que Frédéric vous a dit à propos de moi ?
- Pour être franc, monsieur, il ne m'a parlé de vous que très récemment. Dans ma famille, très peu de personnes savaient qu'il avait un frère.
David joignit l'extrémité de ses doigts.
- A vrai dire , je ne sais pas trop pourquoi il tient tant à vous revoir . Mais je ferais n'importe quoi pour mon grand-père. Je me sens plus proche de lui que de n'importe qui. Il est ... il est tout pour moi.
- Je comprends. Il fut un temps où c'était pareil pour moi .
David était surpris d'entendre un aveu aussi intime et honnête de la part de Claude qui , jusqu'à présent, s'était montré très circonspect.
- Je suis sur que mon grand-père aimerait en discuter avec vous .
- Ça me ferait plaisir, à moi aussi.
Leurs regards se croisèrent sans que ni l'un ni l'autre ne baissent les yeux. David éprouvait une espèce de soulagement terrible à se trouver un point commun avec cet inconnu.
Laura revint avec un plateau chargé de citronnade et de biscuits.
- Qu'est-ce qui te ferait plaisir , à toi aussi ? Demanda-t-elle à son mari .
- De revoir Frédéric. Je disais simplement à David que j'aimerais parler du bon vieux temps avec mon frère. Nous qui étions si proche, nous sommes devenus des étrangers l'un pour l'autre , chacun d'un côté de l'Atlantique . C'est peut-être l'unique occasion de comprendre ce qui a provoqué cette brouille entre nous , voire d'y remédier.
Comme Laura se penchait pour poser le plateau, l'un des grands verres se renversa avec fracas . Le liquide pâle se répandit sur la vénérable table à cocktail , parmi les éclats de verre et les glaçons.
David et Claude se levèrent comme un seul homme.
- Non , ne bougez pas ! Ordonna Laura d'une voix urgente. C'est moi qui ai tout sali , c'est moi qui vais tout nettoyer. Je dois éponger ça avant que les dégâts ne soient irréversibles.

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