Chapitre 7
David fut réveillé par le chant des oiseaux et le soleil qui entrait à flots par la fenêtre. Il resta un moment parfaitement immobile, le temps de retrouver ses repères, savourant le miracle d'une matinée idéale. En Afghanistan, il avait fini par s'habituer à être tiré du sommeil par le bruit des explosions , des sirènes et des appels radio . Le ronron des générateurs, le sifflement précédant la chute d'une bombe de fabrication soviétique, le claquement des coups de fusil - un bruit sec comme un bouchon de champagne qui saute .
Hier soir , Lisa Plenske avait mentionné un centre d'aide aux vétérans , non loin d'ici. Pour l'instant , ce n'était pas nécessaire. Il lui fallait simplement la douceur de ce matin calme au bord du lac. Il se concentra intensément sur l'instant présent - une astuce apprise sur le terrain pour préserver sa santé mentale.
Le lit du chalet était suprêmement confortable , avec ses draps blancs et bien repassée, sa couette épaisse mais d'une texture aérienne. Il faisait face à une fenêtre dont les voilages de couleur pâle ondulaient au gré de la brise légère, encadrant une vu qu'il avait fait qu'entr'apercevoir au clair de lune, à son arrivée.
Le lac des saules méritait amplement le titre que lui conférait le panneau de bienvenue :《 Le joyau de catskills 》. Le soleil levant se réflétait à la surface, transformant l'étendue d'eau en nappe d'or jaune martelé. Le lac était bordé par toutes sortes d'arbres, avec une prédominance des saules. Les accords emblématiques du 《 Matin 》de Grieg résonnèrent dans sa tête, vite rejoints par une réalité bien plus prosaïque. Quelque par ailleurs, le rappeur Jay-Z psalmodiait 《 Big Pimpin'》 à la radio - Natalie était debout.
Il lui pardonna son choix musical car elle avait déjà fait le café. L'arôme imprégnait tout le chalet. Il enfila un jean delavé, souvenir de sa vie civile qu'il retrouva avec plaisir, et se rendit dans la minuscule cuisine du chalet .
Natalie était en t-shirt et baskets . Elle buvait tranquillement un café en contemplant le paysage par la fenêtre . Elle tourna la tête vers lui et son regard s'attarda sur sa poitrine nue.
- Mazette , chef Seidel ! L'armée vous va bien.
- Tu veux dire que je ne suis plus le gamin maigrichon dont tu te moquais ?
- Absolument.
C'était plus l'ennui que la vanité qui l'avait conduit à passer des heures sous la tente de musculation. Entre deux missions de sauvetage, le pic d'adrénaline retombait et il n'y avait plus rien à faire. Pour être franc, il avait aussi succombé à l'élément de compétition qui existait entre les hommes. Le sport faisait partie des maigres distractions offertes par les avant-postes les plus éloignés où il avait passé ces deux dernières années.
Il se servit du café - noir , corsé , avec de la vraie crème dedans. C'était bon comme dans un rêve .
- Vous avez veillé sacrément tard, hier soir, ton grand-père et toi , observa Nathalie. Il va bien ? Enfin, pour le moment, je veux dire.
Fin du rêve, songea David en posant sa tasse de café.
- Apparemment, il souffre parfois de troubles de la vision et peut-être aussi de la coordination. Mais ça ne l'a pas empêché de me mettre une raclée aux échecs.
- Tu en penses ce que tu veux, mais pour ma part, je ne lui ai pas trouvé l'air malade. Et cette infirmière, alors ? Est-ce qu'elle... Ça se passe comment ? Je te dirais que pour moi , elle n'a rien d'une ravisseuse de grands-papas.
- Il a l'air de bien l'aimer. Nous verrons.
Lisa Plenske. Elle restait une énigme pour lui, aussi préférait-il se taire à son sujet.
- Merci d'avoir loué ce chalet , Nat . Dans ma précipitation, il ne m'est même pas venu à l'idée de réserver un hébergement avant de partir .
- Pas de problème , ce ne sont pas les disponibilités qui manquent. La saison commence à peine.
On leur avait attribué un chalet au toit pentu jusqu'au sol, en forme de A, pris dans une rangée de chalets identiques, face au lac . Au mur, un document encadré résumait brièvement l'histoire de ce groupe d'habitations. A l'origine, on y logeait des travailleurs saisonniers, du temps où la région était encore essentiellement agricole , un désert de poussière . Plus tard , quand le camp kioga s'était monté, les chalets avaient hébergé des employés du camp et des artistes de passage.
Natalie l'avait trouvé parfait, avec ses couvertures en laine baie d'Hudson , rayées, de couleurs vives, ses gravures d'époque et son ameublement rétro . Le rez-de-chaussée comportait un lit surélevé faisant face au lac, et une robuste échelle de meunier permettait d'accéder à une chambrette confortable, aménagée sous la pointe du toit . Ils avaient joué la mansarde à pile-ou-face , et c'est Nathalie qui avait gagné.
- Je vais aller courir, annonça-t-elle. Après, il faudra que tu me déposes en ville. Je dois prendre le train de midi.
- Tu pars déjà ?
- J'ai un vrai boulot de grande personne , je te signale .
- Tu vas manquer le plus drôle. Parallèlement à la branche familiale de mon grand-père, il y a, semble-t-il, un mystérieux frère cadet .
- Sans vouloir t'offenser, David, j'ai suffisamment de complications dans ma propre famille. Je n'ai pas besoin des tiennes .
Il sortit du chalet avec elle. La caresse de l'air frais était agréable sur la peau. Il inspira profondément et passa un bras autour des épaules de Nathalie.
- Merci de m'avoir accompagné jusqu'ici.
- Les amis, ça sert à ça.
Elle se tourna vers lui avec une fouge surprenante et se dressa sur la pointe des pieds pour lui chuchoter à l'oreille :
- Je regrette tellement ce qui se passe !
David l'étreignit de toutes ses forces en la soulevant légèrement de terre. Elle était à la fois robuste et féminine dans ses bras, mais comme toujours, ses sentiments demeuraient purement platoniques ; Natalie était comme une sœur pour lui. Une sœur des plus loyale.
- Miss Smeet , vous êtes une fille exceptionnelle.
- N'est-ce pas ? Je reviendrai te faire une petite visite.
Elle se libèra de son éteinte et David s'aperçut qu'elle pleurait.
- Ces larmes ne sont pas pour toi, s'empressa-t-elle de préciser.
- Je sais .
Il inspira avec peine.
- Je sais pour qui elles sont.
Il aperçut Lisa Plenske sur le ponton du cottage de grand-père, en train de les observer . Elle lui adressa un petit signe de la main , puis rentra aussitôt. Que se passait-il dans sa tête ? Il se posait beaucoup de questions à son sujet.
- Elle croit qu'on est ensemble, dit-il à Nathalie.
Celle-ci lui donna une bourrade affectueuse dans le bras.
- Tu peux toujours rêver, chef !
- Dis, rends-moi donc un petit service.
- Tout ce que tu veux .
- Quand tu seras à New York , vois ce que tu peux trouver sur une certaine Lisa Plenske, infirmière de son état .
- Tu crois qu'elle veut détourner la fortune de ton grand-père ?
- Je ne sais pas quoi penser d'elle.
Leur conversation de la veille lui avait au moins appris une chose : il était loin d'avoir cerné la personnalité de la jeune femme. Fait troublant, il avait éprouvé en sondant son regard un sentiment étrange, mais bien réel. L'impression que tous deux partageaient une expérience intime .
- Très bien , je coifferai ma casquette de journaliste d'investigation et je verrai si je peux glaner quelques infos à son sujet.
Là-dessus, Nathalie partit faire son jogging matinal.
David se doucha rapidement avant d'aller voir son grand-père. L'air était empreint d'une odeur aquatique et une brise légère caressait ses cheveux mouillés, contraste bienvenu par rapport aux grains de sable et aux puces qui étaient encore son lot récemment . Après un passage en zone de guerre, on prenait conscience de la valeur de certaines choses, l'eau chaude à volonté , par exemple, ou un climat tempéré . L'habitation que louait grand-père pour l'été était bien plus d'un simple chalet. C'était une véritable maison, avec ponton et véranda meublée , avec un accès pour fauteuil roulant. La véranda était agrémentée de suspensions fleuries et de deux mangeoires à colibris. David frappa à la porte moustiquaire .
- Grand-père ! tu es debout ?
- Bonjour , répondit celui-ci. Quelle journée splendide, n'est-ce pas ?
Assis dans le coin à petit déjeuner inondé de soleil , son grand-père était déjà tout habillé , le New York Times ouvert devant lui .
David fut saisi d'une émotion soudaine. Grand-père lisant son journal du matin, c'était une vision familière, banale, mais à présent, tout était chargé d'importance.
Je ne veux pas que tu meures, grand-père. Je veux que tu vives pour toujours.
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L'été des secrets
FanfictionQuand elle aperçoit les premiers rayons du soleil scintiller sur le lac des Saules, Lisa Plenske est envahi par un sentiment de bien-être presque irréel. Venue pour prendre soin de Frédéric Seidel, un vieux monsieur qu'elle adore , elle ne s'attenda...