chapitre 6

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Chapitre 6

Pour Lisa, s'occuper d'un nouveau patient, c'était un peu comme entamer une nouvelle relation amoureuse, en moins équitable, bien sûr. Et peut-être la gratification était-elle moindre , également. Mais, comme au seuil d'un premier rendez-vous, toutes ses pensées étaient tournées vers Frédéric. Elle cherchait à savoir qui il était, essayait de cerner les nuances de son cœur. Étrangement, elle avait un faible pour lui - pas sur un plan amoureux , mais sentimental. Et son affection augmentait à mesure qu'elle le connaissait mieux. Elle commençait à reconnaître les signes qui le caractérisaient . Elle sentait monter en lui l'agitation, le malaise ou la satisfaction.

La journée avait été tranquille ; Frédéric avait pris peu de nourriture et de repos, mais il l'avait quand même invitée à dîner au pavillon principal . Peu après 19 heures, elle alla voir s'il allait bien . Il paraissait dormir. La tentation était grande de ne pas le déranger , mais il tenait absolument à son projet pour la soirée. Pour rien au monde il n'aurait voulu manquer le service du repas. Ce soir, il était bien décidé à dîner de façon stylée.
Lisa lui toucha l'épaule.

- Frédéric ... Frédéric ,réveillez-vous. Il est l'heure de se préparer pour aller manger .
Le visage du vieil homme reflétait douceur et bienveillance , comme si elle le tirait d'un rêve agréable. Il poussa un soupir et bâttit lentement des paupières: et le voyait peu à peu retrouver ses repères. La baie vitrée encadrant le lac. La table de chevet où s'alignaient les boîtes de médicaments. La sonnette qui d'une simple pression de sa part , la ferait accourir sur le champ.
- Vous voulez toujours aller dîner là-bas ? sinon, je peux vous apporter un plateau ...
- Non. Jen ai assez de me conduire en invalides . Tout ce Soleil et ce bon air me revigorant.
Lisa hocha la tête.
- Il est dix-neuf heures quinze. Nous avons réservé une table pour vingt heures.
- Je serai prêt , d'ici-là .
Dans le classeur en cuir repoussé qui se trouvait dans la chambre de Lisa, on demandait aux hôtes de revêtir une tenue de soirée pour assister aux repas servis au pavillon principal. Partout ailleurs dans le domaine, on pouvait se restaurer de façon informelle , mais la salle à manger Starlight était réservée aux soirées dansantes.
Quelle tenue était la plus appropriée pour elle ? se demande à Lisa . Jamais son expérience ne l'avait conduite dans un tel cadre . Cet élégant village de vacances lui ouvrait les portes d'un tout nouveau monde. Depuis sa sortie de l'école d'infirmières et la fin de sa spécialisation, elle s'était occupée d'un certains nombres de patients, mais aucun ne ressemblait à Frédéric Seidel.
Finalement, elle choisit de se glisser dans un fourreau le jersey beige mat , chaussa des escarpins à talons mi-hauts et s'autorisa un soupçon de maquillage. Un peigne en écaille de tortue retenait sa chevelure balayée sur le côté. Rien de bien glamour . Elle était ... passe-partout, et c'était justement l'effet escompté. Contrairement à certaines personnes qui toute leur vie s'escriment à se démarquer de la norme, elle recherchait l'ordinaire . Les gens se rappelaient les extrêmes. Lisa voulait être la femme dont personne ne se souvient - l'employée de l'agence assurances qui vous aide à remplir une demande d'indemnisation . Le chauffeur de taxi . Le prof de maths , pas celui d'arts plastiques. Le seconde , pas le chef cuisiner. Elle regarda avec nostalgie son reflet dans le miroir et se prit à rêver. Quand elle était enfant , ballottée entre une mère fantasque et toute une collection de foyers d'accueil , un conte la touchait plus que les autres : Cendrillon .
Quelle petite fille ne rêve pas de connaître une métamorphose spectaculaire ?
C'est une métaphore , bien sûr , une récompense . Par sa bonté, Cendrillon parvenait à transcender sa mauvaise fortune ainsi que la méchanceté de son entourage. Toutes les filles souhaitent ainsi passer de la misère à la richesse . Pas de la misère à la médiocrité. Pour une fois, Lisa avait envie de porter une robe qui ferais se tourner toutes les têtes , susciterait l'admiration et peut-être même quelques murmures discrets : qui est cette fille ?
Mais la belle histoire resterait au stade du fantasme. Il lui fallait se fondre dans la masse, et non se faire remarquer. Et elle était passée maître dans cet art. Elle observa son image dans la glace : une fille tout à fait ordinaire, ni grande, ni petite, ni grosse ni maigre , ni belle , ni laide . Ordinaire. Dût-elle traverser une salle pleine de monde , personne ne se souviendrait d'elle au moment de la décrire.
Frédéric Seidel, lui , n'avait pas ce problème : il pouvait se faire beau à loisir. A son entrée dans le salon, elle ne put retenir une exclamation de surprise :
- Oh , Frédéric ! Vous êtes à tomber !

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