Insouciants

8: Vertige ~ Lou ~

Ce matin, je suis exceptionnellement de bonne humeur. Nous commençons les cours à neuf heures seulement et nous débutons par arts plastiques, ma matière préférée. C'est le seul moment où je peux réellement exprimer ma créativité au lycée.
J'ai le souvenir d'un travail de sciences où j'avais tenté de rendre mon schéma plus coloré et, à mon plus grand étonnement, cela n'avait pas plus à mon professeur. La note s'en était d'ailleurs ressentie.

Au moment où le bus s'arrête non loin de la maison de Billie, j'espère très fort que celle-ci va y monter à bord. Alléluia, la voilà ! Malgré sa mine un peu fatiguée, elle me sourit de toutes ses dents et s'assoit à mes côtés.

Le cours d'arts plastiques est un moment que j'apprécie beaucoup, comme à chaque fois. Le sujet d'aujourd'hui est : représentez vos sentiments actuels sur une feuille de papier et avec de la peinture.

Je me munis de mon pinceau et commence à tracer des arabesques dorées. Je rajoute des traits de toutes les couleurs qui expriment mon débordement d'énergie. J'observe à la dérobée le travail de Billie ; elle a réalisé un fond violet et entreprend de dessiner des points d'interrogation. Je suis trop timide pour lui en demander la raison...

En cours d'EPS, nous devons courir un relais par quatre. Mon groupe est constitué de mes deux meilleurs amis ainsi que Billie.
Celle-ci s'élance en premier et nous ne manquons pas de l'encourager de vive voix. Une fois le témoin en possession de Lara-Jean, elle peut enfin reprendre son souffle. J'ai à peine le temps de la féliciter que c'est déjà mon tour !

Arrivée au milieu de la piste, je ressens une vive douleur à travers tout mon corps. Je suis obligée de ralentir et bientôt de m'arrêter complètement.
Je suis prise d'un vertige et tout tourne autour de moi.

Puis, plus rien.

Des voix floues me parviennent.

Je ne vois rien.

Je ne sens plus rien.

Je n'entends plus rien.

Quand j'ouvre enfin les yeux, Billie est assise sur une chaise à côté du lit où je suis allongée. Elle a les yeux fixés sur son téléphone.
Je découvre le reste du décor qui m'entoure ; des murs blancs, une armoire cadenassée, un bureau, une petite table avec du sucre et un verre d'eau.

Je dois commencer à m'agiter car Billie relève enfin la tête.

-"Mon dieu Lou, tu m'as fait atrocement peur ! S'écrit elle.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Que fais-je là ? Je demande d'une voix pâteuse.

- Lors de ton tour de relais, tu as fait un malaise en plein milieu de la piste !

Billie n'a pas le temps de compléter ses explications que l'infirmière rentre dans la pièce.

- Lou, je suis contente que tu sois réveillée. Comment te sens-tu ?

- Je crois que ça va à peu près. Je rassure.

- Que s'est-il passé ? Questionne Billie.

- Et bien, Lou ne mange pas suffisamment et ne se ménage pas assez. Répond l'infirmière en s'adressant à mon amie. Puis, elle poursuit à mon intention :

Tu n'avais pas assez de forces pour courir autant, tu aurais dû le savoir."

Je baisse la tête afin d'éviter le regard insistant de Billie.

Il est vrai que ces temps ci, je ne me nourris pas assez. Des fois, j'oublie tout simplement. Par exemple, quand je suis seule chez moi avec mes écouteurs où à mon piano, les heures défilent sans que je m'en rende compte. Et... Il y a des fois où je n'y arrive simplement pas. L'assiette posée devant moi, il m'est impossible d'avaler quoique ce soit.

Ce matin, j'ai sauté le petit-déjeuner. Cette fois-ci, c'était plus une question de temps ; j'ai profité de la belle météo pour aller courir avant que mon bus arrive.

- "D'accord, je vais faire plus attention. Je promets.

Je jette un rapide coup d'œil à ma montre et ce geste n'échappe pas à Billie.

- De toute façon il est l'heure d'aller déjeuner, n'est-ce pas Lou ? Dit-elle d'un ton inquisiteur.

- Bien. N'hésite pas à revenir me voir si les vertiges te prennent trop souvent. Bon appétit et bon après midi les filles, je compte sur toi pour veiller sur elle, Billie !" Nous salue l'infirmière.

Puis, elle nous raccompagne à la porte.

Je crains à présent la réaction de mon amie. Quand je me décide enfin à la regarder dans les yeux, je distingue une hésitation. Elle finit par briser le silence :

-"Ne t'avise pas de recommencer, tu m'as fichu la trouille." Déclare-t-elle sèchement.

Sans un mot de plus, nous nous dirigeons vers le réfectoire. Je déjeune seule avec Billie, les autres ayant déjà mangé depuis longtemps. Elle me précise que c'est elle qui  leur a dit de ne pas nous attendre car elle ne savait pas si j'allais mettre du temps à me réveiller.

Pendant tout le repas, Billie scrute mes moindres faits et gestes. C'est limite si elle vérifie pas que je ne laisse aucune miette dans mon assiette. C'est assez perturbant et assez inconfortable, je dois l'avouer.

Je suis soulagée de retrouver Lara-Jean et Isaac près des casiers, mais je reste tout de même évasive sur les raisons de mon malaise. Ils semblent juste contents de voir que je vais mieux, et ne me posent pas d'autres questions.

Je remarque quand même le regard interrogateur de Lara-Jean adressé à Billie. Cette dernière détourne le regard et semble perdue dans ses pensées...