Chapitre 7

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Mercredi, 22 mars 2023.

Douala, Cameroun.

               *** Lynn Djandjo ***

— C'est la deuxième fois que tu repousses ton retour.

— Je sais, Lynn. Et je n'en suis pas fier. Même ma fille est déjà fâchée contre moi. Mais ça ne dépend pas seulement de moi.

— Je sais, bien-sûr. Je te taquine juste.

— Ne t'inquiète pas. D'ici la semaine prochaine, on le rattrapera, ce rencard raté.

— J'ai hâte, dis-je avec un léger rire. En attendant, je vais devoir te laisser. J'ai beaucoup à faire.

— Moi aussi. À ce soir alors.

— Bye.

Je raccroche en souriant, comme à la fin de chacun de nos échanges. Je jette encore un coup d'oeil à la photo qu'il m'a envoyée et secoue la tête. Je crois qu'on est sur le point de me perdre.
Sans perdre plus de temps, je range mon téléphone dans mon petit sac et ferme la porte de la maison à clefs. Je quitte le quartier, sans manquer de saluer ma voisine au passage, et prend une moto qui me laisse dans le quartier Logbaba, où je travaille.

J'emprunte un petit sentier de cent mètres environ et arrive à destination, dans la maison où je suis cuisinière. C'est une assez grande maison familiale mais où juste cinq personnes vivent. Une veuve de la cinquantaine, avec ses quatres enfants, sans compter les deux autres fils aînés qui ne vivent pas avec elle, mais que je connais bien, depuis le temps que je travaille ici. Ça fait presque deux ans que je cuisine pour cette famille et je n'ai jamais eu de problèmes avec eux. Je m'entends bien avec tout le monde. Ils m'apprécient tous ; surtout le deuxième fils de trente ans qui m'a plusieurs fois fait des avances que j'ai poliment rejetées. C'est ce genre de choses qui m'a coûté mon boulot de ménagère avant.
Mais en dehors de tout ça, j'aime cette famille. Maman Evelyne est d'une grande gentillesse avec moi. Ses enfants également. J'apprécie également mes collègues, dont le gardien et une femme qui vient faire le ménage trois fois par semaine. D'ailleurs, si elle n'était pas là avant moi, j'aurais volontiers cumulé les deux boulots.
Sans perdre plus de temps, je traverse la grande cour de la maison en saluant le gardien au passage et rejoins ma patronne à la véranda. Toute souriante, elle me fait un signe de la main pour me demander d'attendre, tandis qu'elle met fin à son appel téléphonique.

— Bonjour Ma'a, dis-je lorsqu'elle finit.

— Bonjour ma belle. Comment tu vas ?

— Bien merci. Et toi ? Tu vas mieux ?

— Oui ça va. J'étais au téléphone avec Bosco. Il vient la semaine prochaine avec sa femme et ses enfants, me dit-elle à propos de son fils aîné qui est à l'étranger. Tu sais que son petit-frère se marie, non ?

Étonnée, je fronce les sourcils en la regardant.

— Ah, j'ai dû oublier de te dire. Excuse-moi.

— Ce n'est pas grave maman.

—  Aloïs se marie samedi surprochain, le 1er avril, avec la mère de mes jumelles. Tu la connais non ?

— Oui ma'a.

— Voilà. Je veux que tu m'accompagnes faire quelques achats après, s'il te plaît.

— Il n'y a pas de soucis. Je finis à l'intérieur et on y va. Vous voulez manger quoi aujourd'hui ?

Après qu'elle m'ait laissé ses consignes, j'entre, je dépose mon sac, me change et passe à la cuisine. Je suis encore surprise par cette nouvelle. Non pas que cela ne me réjouisse pas, loin de là. Je suis juste étonnée par le comportement des hommes. Il y a une semaine encore, le deuxième fils de ma patronne me faisait de l'oeil. Et aujourd'hui j'apprends qu'il va se marier, juste comme ça. C'est à se demander ce qu'il serait advenu de moi si j'avais accepté ses avances. C'est pareil avec presque tous les hommes que je rencontre ; j'ai l'impression qu'il y a une étiquette «prostituée» sur mon front, qui les pousse à ne voir en moi, qu'une maîtresse ou une fille de joie. Pour lui, je serais certainement devenue la maîtresse de l'ombre tandis qu'il se la coulerait douce avec la mère de ses filles. D'ailleurs, je la plains, cette femme. Elle est ravissante, gentille et pleine de vie, mais elle va épouser un vrai coureur de jupons. Mais ça elle doit le savoir après tant d'années, je suppose. C'est sûrement la cause des multiples plaintes qu'elle vient faire à Maman Evelyne qui a dû s'y mêler plusieurs fois pour arranger les choses.
Pour éviter les problèmes, je préfère me dire que ce ne sont pas mes affaires.

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