Chapitre 17

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Jeudi, 6 avril 2023

Douala, Cameroun.

*** Flore Monthé ***

Il est déjà seize heures passées. Assise à la petite terrasse de ma chambre, je tiens distraitement mon téléphone dans les mains.
Le regard dans le vide, je pense encore à tous les efforts que j'ai fournis ces dix-huit dernières années pour essayer de réparer mes torts. J'ai cherché à me racheter aux yeux de Dieu et j'ai réussi à trouver la paix, sans toutefois me sentir complète. Ma paix et mon bonheur n'ont jamais été complets sans elle. Au fond, je n'ai jamais pu trouver une paix totale en me rappelant combien de vies j'ai détruites, en m'imaginant ce que devait endurer ma cadette et à quel point elle devait me haïr. Malgré toutes les belles choses que j'ai vécues, je n'ai jamais pu me racheter aux yeux de Lynn. Pour cela, il aurait d'abord fallu que je la trouve ; ce qui n'a pas du tout été facile. Je croyais enfin y être parvenue ; je me réjouissais déjà pour ce pas qu'elle avait fait vers moi avant-hier, en m'envoyant un message. Mais c'était beaucoup trop facile, connaissant Lynn.
Je me demande bien ce qui n'a pas marché. Je cherche à comprendre pourquoi les choses ont dérapé alors qu'elles semblaient s'arranger. J'essaie de comprendre en vain.

Hier, c'est avec un délicieux plat de Koki que j'attendais ma sœur. Je lui avais fait son plat préféré — du moins celui qu'elle adorait il y a quelques années — pour lui faire plaisir et l'accueillir comme il se doit. Malheureusement, au moment où j'achevais ma cuisson, j'ai reçu ce message qui m'a vidée de mon énergie et de mon enthousiasme. Mon invitée avait décidé de me fausser compagnie. J'ai eu tellement mal en lisant ce petit message que j'ai dû m'assoir en vitesse pour ne pas perdre mon équilibre. Ce qui m'a fait le plus mal, ce n'était pas ce plat que j'avais concocté spécialement pour elle, ni la joie qui m'a animée toute la journée, encore moins l'espoir que j'avais placé en cette rencontre, mais c'était de m'imaginer qu'elle ne me pardonnerait peut-être jamais. Elle m'en veut encore. Elle me hait encore. Elle n'est pas prête à me revoir.

J'avais laissé le soin à ma fille qui venait tout juste de rentrer, d'achever le rangement de la cuisine, car je n'avais plus d'énergie pour. Tout ce que je voulais, c'était m'enfermer, de me retrouver seule. Ce besoin de solitude était tellement pressant que je n'ai pas prêté attention à ma fille qui m'expliquait qu'elle avait trouvé une femme devant notre portail. C'est juste bien après, après avoir essayé vainement de joindre ma sœur plusieurs fois, que j'ai réalisé que la femme en question aurait pu être celle que j'attendais. C'est avec la gorge nouée que je lui ai envoyé des tonnes de messages, sans réponse.

Aujourd'hui encore, j'ai essayé. J'ai essayé de la contacter, mais sans qu'elle ne réagisse. J'ai essayé de garder mon calme, sans succès. J'ai essayé de me convaincre après ma prière que je devais lui laisser de l'espace, mais mon ressenti est beaucoup trop grand. J'ai trop mal, pour pouvoir réussir à dormir cette nuit encore, sans avoir de ses nouvelles, sans qu'elle ne me dise ce que je devrais faire pour arranger les choses. Je sais que de simples mots n'arriveront pas à effacer tout ce qu'elle a enduré, mais je suis prête à faire le nécessaire pour regagner sa confiance. Il en va également de mon bien-être et de celui de ma famille qui subit injustement mes colères et mes silences.

De longues minutes s'écoulent dans le silence — à croire que Jaurès a compris que sa mère va mal — jusqu'à ce que mon téléphone se mette à sonner entre mes mains. D'un geste nonchalant, je regarde qui m'appelle et soupire en découvrant qu'il s'agit de mon époux. J'essaie de prendre une voix qui se veut calme pour le rassurer, tout en sachant qu'il se doutera toujours de mon mal-être.

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