Chapitre 1

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Vendredi, 10 mars 2023.

Douala, Cameroun.

             ***Lynn Djandjo***

En sortant de ma modeste chambre ce matin, je ne peux m'empêcher de m'arrêter quelques secondes pour mon petit rituel matinal.
Dissimulée près de la porte du salon, je regarde avec plus d'émoi que la veille, mon fils. Assis sur la seule table de la pièce, il prend son petit-déjeuner en regardant la télévision. Je lui reproche cette habitude à chaque fois, mais il n'écoute pas. Il a cette manille-là de rester scotché devant un film ou un documentaire pendant qu'il enfile sa tenue de classe et qu'il mange. S'il le pouvait, il emmènerait certainement cet appareil dans la salle de bains pour se laver. Je ne sais pas ce qui le passionne tant dans ses programmes télévisés dès le matin, mais je suis fatiguée de le réprimander. Alors je le laisse faire, tant qu'il n'arrive pas en retard au lycée.
Moi par contre, il n'y a personne pour me reprocher mon rituel. Si Ryan savait que je l'épie ainsi chaque matin, il me prendrait certainement pour une folle. Mais folle, c'est certainement ce que je serais si je ne le faisais pas. Pour éviter de passer la journée à me plaindre de ma misérable vie, je prends quelques minutes pour regarder celui pour qui je me lève chaque matin. C'est le fait de le voir en santé et épanoui qui me donne la force dont j'ai besoin pour affronter ce quotidien merdique qui est le mien. C'est son sourire qui colore mes journées et toute ma vie même, et ce, depuis dix-huit ans. Dix-huit ans. Dix-huit ans de combat, d'acharnement, de secrets. Dix-huit ans de souffrance, mais aussi de bonheur. Les années sont passées si vite en sa compagnie. Oui, c'est lui qui m'a plus accompagnée que l'inverse. Il ne le sait certainement pas, mais c'est grâce à lui que je reste courageuse, même lorsque je suis au bord du précipice. Mon fils est toute ma vie.

— Mama ? Appelle-t-il lorsqu'en se levant pour débarrasser ses couverts, il constate ma présence.

Découverte et brusquement tirée de mes pensées, c'est en souriant que je sors de ma pseudo cachette et m'avance vers lui.

— Bonjour chéri. Bien dormi ?

— Oui merci. Et toi ? Me demande-t-il en éteignant le téléviseur.

— Assez bien. Laisse les assiettes, je vais les laver.

— D'accord merci.

Sous mon regard bienveillant, il vérifie ses affaires, prend un cahier sur cette table où il révisait la veille et le fourre dans son sac. Ce dernier ne tarde pas à être accroché sur son épaule. Il me dit au-revoir quand je le retiens par le bras. Je prends une brosse et la passe sur sa tête contre son gré. Tandis qu'il raille je m'attelle à redresser cette chevelure têtue dont il a héritée de moi. Si je ne le fais pas, il s'en fiche. Il les garde si touffus jusqu'à ce que la paire de ciseaux d'un surveillant du lycée n'y trace une route sans destination.

—  Mais ça fait mal hein, se plaint-il. Tu ne sais pas que c'est ça qui fait mon charme ?

— Va là-bas !

Mi amusée, mi dépassée, je secoue simplement la tête avant qu'il ne se dirige encore une fois vers la porte en riant. Cette fois-ci, je n'ai pas à le retenir puisqu'il revient tout seul sur ses pas, en essayant certainement de se rappeler de quelque chose, vu la tête qu'il fait.

— Voilà, j'ai failli oublier ! S'exclame-t-il. Pa'a Toukas est passé très tôt aujourd'hui, avant six heures même. Il dit qu'il y a déjà deux mois qu'on doit lui verser et qu'il est fatigué d'attendre.

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