Chapitre 22

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Lundi, 10 avril 2023.

Douala, Cameroun.

*** Lynn Djandjo ***

Du revers de la main, j'essuie les larmes qui perlent déjà sur mes joues au souvenir de cette période difficile, voire traumatisante. Penser à cette maudite nuit où j'ai été abandonnée à moi-même n'est certainement pas une partie de plaisir pour moi, car j'en garde encore les séquelles. Je garde encore en mémoire les mots crus de mon père et de mon ex petit-ami. «Prostituée !» Comment oublier ?
Comment oublier ce mot qui me hante depuis des années et qui aujourd'hui décrit à merveille ma vie ? Impossible.

Je regarde ma cousine qui semble attendrie ou du moins touchée par cette partie de l'histoire qu'elle connait déjà pourtant bien. Elle était là lorsque je me faisais battre, mais elle n'a pas osé lever le petit doigt pour me défendre. Elle était là lorsque je me faisais humilier et insulter à cause de ce qu'elle a fait de moi. Elle était là, mais elle n'a rien fait. Rien, sinon me glisser quelques billets chez ma tante. Mais à ce moment-là ce n'était pas d'argent dont j'avais besoin, mais de soutien, de réconfort. De l'argent, je n'en manquais pas vraiment, car tout comme elle, j'en mettais toujours un peu de côté, chaque fois que j'en gagnais ; et si je le voulais, j'aurais pu appeler n'importe quel contact de mon répertoire et j'en aurais eu. Nous en connaissions pas mal, des jeunes riches.
Elle me regarde avec cet air de pitié et j'ai envie de l'étriper, car tout ça pour moi, sonne comme de la moquerie. Je souffle un instant et baisse la tête vers ce petit ange qui a déjà l'air fatigué, mais sourit toujours. Je ne lui rends pourtant qu'un sourire triste, rongée par mes vieux démons.

— Lynn, appelle sa mère, sans que je ne lève la tête vers elle. Je m'en veux toujours, je t'assure. À ce moment-là j'ai moi aussi paniquée et ne sachant pas comment t'aider, j'ai pensé à un soutien financier alors que ce n'était pas le plus urgent. Mais je n'avais auc...

J'émets un léger rire, comme pour lui montrer que je n'en ai rien à faire et que je ne la crois pas. Elle se tait aussitôt. Je lève la tête vers elle et la fixe, les yeux certainement rouges à force d'essayer de retenir ces maudites larmes qui n'ont pas compris que je ne veux plus rien à voir à faire avec elles.

— Si ça peut apaiser ta conscience, sache que ton argent m'a tout de même aider lorsqu'il a fallu que je disparaisse.

— Et pour avoir disparu, tu as vraiment disparue, car je t'ai cherché dans tout Nkongsamba.

— Mais pas à Douala.

Flashback, juin 2004.

Nkongsamba, Cameroun.

Après avoir été désillusionnée et humiliée par Laurent, j'ai décidé d'arrêter de supplier quique ce soit. J'ai compris une fois pour toutes que je ne pouvais compter sur personne. J'ai appelé quelques prétendants pour avoir plus d'argent, mais tous me donnaient des dates incertaines. Cependant, je ne pouvais pas attendre jusque là. J'ai pris une chambre dans une auberge pour passer la nuit à réfléchir à ce que je devais désormais faire.
La nuit fut longue, très longue. Je n'ai pas pu fermer l'oeil, car trop occupée à pleurer et à réfléchir. Si l'on m'avait dit que je me trouverais un jour dans une télé situation, j'aurai ri. C'était à peine si je pouvais sourire cependant. Les mains sur mon ventre, je me suis endormie, espérant que ce petit être se remettra des coups qu'a reçus sa mère. Je savais désormais ce que je devais faire.

Dès l'aube, j'ai quitté l'auberge avec pour destination la gare, décidée à attendre l'argent de mes prétendants hors de la ville. Manquant d'appétit, je n'avais même pas pris des provisions pour la route lorsque je suis montée dans le premier bus pour Douala. Le trajet n'était pas censé être long. Je le savais, car j'avais l'habitude de le faire pour passer quelques weekends avec l'un de mes prétendants, le plus sérieux de tous. Il croyait d'ailleurs que j'étais sa copine, il était convaincu que je finirais par l'aimer follement, car lui m'aimait. Certainement, d'un amour plus sincère que celui de Laurent. 
À cause d'une panne sur la route, je suis arrivée à Douala aux environs de midi. Idriss n'était pas chez lui et je n'arrivais pas à le joindre, alors je l'ai attendu. Tous ses voisins de cette petite cité d'étudiants à Ange-Raphaël, me regardaient avec dédain pour certains et avec pitié pour d'autres. J'ai donc passé la journée, assise devant cette porte, espérant qu'il rentre, bien qu'on m'ait dit qu'il aurait cours toute la journée.

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