Chapitre 11

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Mercredi, 29 mars 2023.

Douala, Cameroun.

*** Lynn Djandjo ***

Il est environ sept heures du matin lorsque je quitte ma chambre pour le salon. Je salue mon fils qui y est installé et il me répond d'une voix inaudible avant de se lever du fauteuil. Il ramasse ses affaires sur la table et les fourre dans son sac en silence. Alors qu'il va dans sa chambre, je m'assois à mon tour sur l'une des chaises du salon. Il revient quelques minutes déjà chaussé en boutonnant sa chemise de classe. Je le regarde faire en silence en essayant de croiser son regard qu'il évite de m'accorder. Une fois terminé, il quitte la maison en me disant sèchement au-revoir, comme pour se débarrasser de moi. Je ne le retiens pas. Je me contente de retenir mes larmes, mais en vain.

Depuis deux jours, mon fils et moi vivons comme des étrangers dans cette petite. maison. Il ne m'adresse plus la parole depuis notre discussion de lundi, pendant laquelle je n'ai pas répondu à ses questions. Je savais pourtant qu'elles finiraient par arriver. Je le savais, mais j'ai fait mine de ne pas y accorder d'importance. Pourtant mon cœur saigne de ne pas pouvoir lui répondre correctement. J'aurais dû comprendre depuis belle lurette qu'il n'est plus ce petit garçon d'autrefois qui posait des questions naïves par simple curiosité ; des questions pourtant importantes, celles-là qu'il n'aurait même pas dû avoir à poser, celles qui n'auraient pas dû le préoccuper dans sa posture d'enfant. C'était tantôt des pourquoi je n'ai pas de père comme mes amis ? Ou des pourquoi on vit seuls ? Je veux aussi avoir un papa, des tatas et beaucoup de petits frères que j'ai su contourner jusqu'ici, sans pour autant négliger ses préoccupations. Aujourd'hui, c'est un quasi-homme. C'est un homme qui réfléchit, raisonne et se questionne. Ce n'est plus un enfant. Aujourd'hui il est capable de comprendre certaines situations de notre vie quotidienne et de trouver réponse à certaines préoccupations d'antan. Il n'est plus question de Maman, pourquoi on doit dormir ici, en route ? Pourquoi on nous chasse de chez nous ? Pourquoi on ne nous aime pas ? Pourquoi tu pleures ?
Maintenant, c'est à ses questions existentielles qu'il faut trouver réponse. Mais où trouver le courage de les lui donner ?
Devrais-je lui avouer que son père n'est pas réellement mort et qu'il est là, quelque part dans la nature ? Comment lui expliquer qu'en réalité il a peut-être encore une famille, là-bas en Nkongsamba ou n'importe où ailleurs ? Comment pourrais-je le regarder en face et lui dire que je fais la fille de joie la nuit pour subvenir à nos besoins ? Impossible. Il est hors de question qu'il sache ça. Je ne supporterais pas de perdre l'estime qu'il me porte, car c'est tout ce qu'il me reste. C'est grâce à l'amour et la tendresse que je lis dans son regard que j'arrive à surmonter toutes les épreuves de ma vie merdique. C'est grâce à lui que je m'accroche à cette dernière, car pour moi il y a bien longtemps, dix-neuf ans plus précisément, qu'elle a perdu son sens. S'il n'avait pas été là, j'aurais mis fin à mes jours depuis longtemps, sachant que mon départ n'aurait attristé personne. C'est à peine si l'on l'aurait remarqué.
Mais voilà que ma raison de vivre me lâche peu à peu. Mon fils s'éloigne de moi et j'en souffre. 
R

yan m'en veut ; et il a raison. C'est tout à fait normal, je peux le comprendre. Toute sa vie je n'ai fait que lui mentir, le tourner en bourrique pour éviter de lui donner les réponses claires auxquelles il a droit. Et j'aimerais tellement pouvoir tout lui dire, être transparente avec lui, mais j'ai peur des conséquences. J'ai peur qu'il découvre en réalité la femme peu recommandable qui se cache derrière le visage d'ange de sa mère. Mais tout ça me pèse énormément.
J'ai envie de pouvoir tout raconter à quelqu'un, déballer tout ce qui me pèse tant le cœur, me décharger du poids de mes secrets; mais à qui le faire ? À qui pourrais-je bien raconter tout cela ? À qui faire confiance sans vivre dans la crainte d'être trahie ? Qui saura me comprendre ? Une amie ? Je n'ai que Sandra et elle en sait déjà assez. Une mère ? Une sœur ? Je n'ai personne. Ceux sur qui je croyais compter autrefois m'ont lâchée au moment où j'avais le plus besoin d'eux. Il n'y a pas de raison que je me laisse encore duper. Autant mourir à petit feu que de me laisser poignarder dans le dos, encore une fois.

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